Playa Philo (2/8): Faire la sieste avec Descartes

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Laurent de Sutter
Laurent de Sutter Professeur à la VUB

Chaque semaine, petits problèmes et grandes solutions: comment les vieux barbons de la philosophie viennent au secours du vacancier perdu.

Le déjeuner est terminé. Les enfants ont débarrassé la table (c’est leur seule utilité). Et l’heure de la promenade n’a pas encore sonné. Tandis que les grillons s’évertuent à héler la gueuse à grands renforts de cri-cris, une sorte de torpeur s’abat sur le village. C’est l’heure de la sieste. Vous grimpez dans le hamac que vous avez tendu entre deux oliviers le jour même de votre arrivée; vous rabattez le chapeau de paille que vous avez acheté (une affaire) au marché du coin; et vous vous enfoncez dans le sommeil. Délice de la sieste. Délice de la gravité qui s’exerce sur le corps, de la matière soudain restituée à elle-même, sans l’encombrant bagage de la conscience.

Le vieux Descartes (1596-1650) avait consacré quelques efforts à tenter de comprendre ce glissement entre ce qu’il appelait « res cogitans » et « res extensa » (en gros: l’intellect et la matière). Tous les êtres, pensait-il, se distinguent suivant la part qu’y jouent le concret et l’abstrait, le corps et la pensée -les êtres humains se caractérisant bien entendu par leur usage suprême de la « res cogitans ». Pourtant, tout qui se laisse parfois aller aux joies de la sieste un après-midi d’été sait très bien qu’il n’y a rien de plus « suprême » que l’expression passive de la « res extensa », que la reddition à une corporalité rendue d’autant plus présente que le menu du midi a été chargé. Digestion, sommeil, petit rot de satisfaction: le cartésianisme, tout obsédé qu’il était de tenter de refonder le savoir sur des bases qu’il considérait comme solide, avait préféré l’abstraction des démonstrations théoriques au ronflement sonore du dormeur bienheureux. Pourtant, en matière de solidité (si j’ose dire), on peut difficilement trouver plus lourd, plus pesant, plus victime des lois de l’univers qu’un corps qui se laisse aller au savoir du non-savoir.

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