« My-thoooo = moi pas, alors tais-toi! »
Chaque semaine, un penseur met à jour les Mythologies chères à Roland Barthes. Aujourd’hui, Francis Metivier, philosophe, s’attaque à la mythomanie par le biais de Mick Jagger.
Francis Métivier. Philosophe, musicien, performeur, professeur, conférencier, chroniqueur, auteur de Rock’n philo et Rock’n philo, vol. 2 (J’ai Lu), Sexe&Philo (Bréal), Rap’n philo (Le Passeur), et du roman Dans ton corps, directeur de la collection « Open philo » chez Le Passeur. www.francismetivier.com
L’esprit des Mythologies de Barthes n’est pas si éloigné de ce que voudrait dire la formule d’aujourd’hui: « Mytho! ». Formule qui s’accompagne d’une sémiotique: un signalement oratoire légèrement oris fututio, une mimique liée à la façon de prononcer un « my » assez bref, sec et un peu aigu, suivi d’un « …thoooo » allongé. Plus ou moins mélangé à une suspicion de mégalomanie, « mytho » désigne une attitude ou une parole qui élève la représentation de son objet au-dessus de sa valeur réelle.
– « À 14 ans, j’ai trinqué avec Mick Jagger à la Foire au vin d’Amboise, dans les douves du château.
– My-thoooo…
– L’autre jour, avec Mick Jagger on s’est croisés à la gare de Saint-Pierre-des-Corps.
– My-thoooo… »
En fait, mytho ne signifie pas que l’on ment mais, qu’en disant, on transforme le simple fait en événement, ce qui est en ce qui advient. Finalement, « my-thoooo… » sous-entend « moi pas, alors tais-toi ». Si Barthes définit bien les mythologies d’aujourd’hui comme « parole », c’est que parfois, à leur propos, on aimerait bien un peu de silence. Et même chez Barthes, les mythologies sont à deux doigts du « mytho ». Nous pourrions dire: « Mytho, la margarine Astra! », margarine qui, dans sa dimension représentative, donnerait son nom à une théorie de la communication mais n’est dans les faits qu’un aliment graisseux. « Mytho, le Tour de France » comme nouvelle épopée… ou plutôt épopée de l’EPO et du mauvais goût en matière de langage.
Une mythologie est une forme intensive qui produit un contenu frappant et, grâce à ce contenu, conserve son intensité malgré sa diffusion. Une mythologie est une forme de la popularité qui sait éviter l’indésirable effet de sa dilution. « Mytho », au contraire, c’est quand l’intérêt du moment n’est plus à la hauteur de l’intensité de l’instant, une fois son récit réalisé. Ou bien le récit rehausse ou bien il efface. C’est pour cette raison que Mick Jagger est mythologique et que « j’ai trinqué avec Mick Jagger à la Foire au vin d’Amboise » est mytho. C’est vrai, mais qu’ai-je besoin de le dire, avec cette intention de me rendre populaire?
Une fois faite cette distinction entre deux strates sémantiques que marque l’évolution du mot « mythe », posons maintenant la question de fond des mythologies contemporaines: échappe-t-on au sens populaire du mot « mythe » -échappe-t-on à « mytho »- quand on l’utilise pour Messi et Madonna, par exemple?
Dans le domaine du rock, il existe une mythologie très particulière: mourir à 27 ans. La résurgence mythologique d’Achille qui préfère avoir une vie brève et intense plutôt que longue et ennuyeuse. D’accord, mais Jagger a une vie longue et… très probablement intense! C’est en ce sens que Jagger est plus que mythologique: il est auto-mythologique. Il n’est pas mort, afin qu’on ne dise pas n’importe quoi sur lui. C’est qui, Mick Jagger? C’est un mec qui, de tout temps -oui, c’est la bonne formule-, chante et crie, bouge son petit cul sur scène et tortille son corps sans sens mais dans tous les sens. Il doit danser sur scène comme il danse dans sa cuisine. Il travaille son rock hystérique mais pas son moi ou son non-moi. Il a un autre mec à côté de lui qui n’arrête pas de tordre les cordes de sa guitare, clope au bec. Il a l’air de chanter comme si ce qu’il chantait n’avait pas d’importance et, même, comme si c’était naze. Mais c’est mythologique. Et en plus il fait des « ah yeah, ah ha haaa… ».
En fait, la mythologie contemporaine de l’objet tient moins de l’objet lui-même que du rapport que l’on s’imagine entretenir avec lui. « J’ai trinqué avec Mick Jagger »: il ne s’en souvient pas et on s’en bat les noix! Mais désolé, je peux quand même le dire, et Barthes confirme: il n’y a pas de limite substantielle à la mythologie, mais seulement des limites de formes. Tout objet dont on parle de façon bouleversante peut être mythologique. Certes, mais vous enlevez au mythe son logos, reste une distinction entre mythologique -qui est mythique parce qu’on en parle- et mythique, c’est-à-dire ce qui est transcendant sans qu’il ne soit nécessaire d’en parler.
C’est pour cela que, Jagger, tout ce que j’ai à en dire, c’est que j’ai trinqué un jour avec lui. Sinon il est le mythe qui parle de lui-même. Il est le mythique qui a une mythologie -tout le monde en parle- dont il se passe. Ah yeah…
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