Critique | Livres

Le Playboy, de Chester Brown

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

AUTOBIOGRAPHIE | Réédition d’un album de jeunesse de Chester Brown dans lequel l’auteur indé se dépeint en onaniste accro à Playboy, entre honte et plaisir fugace.

Le Playboy, de Chester Brown

Quand il n’est pas occupé à faire revivre une figure révolutionnaire de l’Histoire canadienne -l’excellent Louis Riel-, Chester Brown est entièrement absorbé par son cas personnel. Comme ses potes de l’écurie indépendante Drawn and Quartely, Joe Matt et Seth, le Canadien creuse en effet depuis plus de 20 ans la veine autobiographique, et singulièrement ses zones les plus inavouables, décortiquant sur les planches ses névroses et ses angoisses. Un fort penchant à la confession impudique qui en fait l’héritier d’un Crumb, le goût de la provoc gratuite en moins, ou d’un Harvey Pekar, les obsessions sexuelles en plus. Et l’un des piliers d’une scène underground qui a définitivement quitté le sous-sol pour gagner les étages de la respectabilité artistique.

Tous les ingrédients de la potion Brown se retrouvaient dans Vingt-trois prostituées, son hit sorti l’an passé: ton clinique, graphisme noir et blanc dépouillé, instabilité affective, culpabilité maladive, honnêteté à tous les étages… Avec en toile de fond un plaidoyer pour la légalisation de la prostitution, Brown ne cachant pas ses accointances libertariennes. Cet exhibitionnisme compulsif, qui choquera les âmes bigotes, est sa marque de fabrique. De livre en livre, il s’autoanalyse, interrogeant avec une belle lucidité les dessous pas toujours affriolants de l’existence. A commencer par le sexe, source de plaisir autant que d’embarras. De ce point de vue, Chester Brown est d’ailleurs un récidiviste comme le prouve la réédition aujourd’hui, moyennant quelques retouches au texte et au dessin, d’un de ses premiers albums, Le Playboy, paru en 1992. Et dans lequel il se penche sur son addiction au magazine érotique bien connu racontée avec la complicité sadique d’une chauve-souris ayant ses traits qui est à la fois son double plus âgé et la voix de son subconscient.

Je bande donc je suis

Tout commence un dimanche dans une église pendant la messe. Chester a 15 ans et n’arrête pas de penser au Playboy qu’il a aperçu la veille dans un drugstore. Comment mettre la main sur la revue sans se faire repérer par ses parents et ses voisins, comment s’en débarrasser ensuite avec un sentiment de culpabilité et de dégoût après « usage », Le Playboy le détaille avec un sens aigu de l’autoflagellation, ne nous épargnant aucun détail de cette course éreintante, car perdue d’avance, contre les pulsions, l’onanisme, passage obligé de cette période délicate qu’est la puberté. Entre déni et désir, montée de sève et gêne socialement assistée, ce récit intime résonne avec les démons auxquels tout ado normalement constitué a été confronté. Entre honte et plaisir coupable. D’utilité publique, Brown s’impose ici comme une figure sacrificielle, celui qui endosse le fardeau de l’opprobre en exposant les faits crûment pour pouvoir soulager la conscience de tous ceux qui ont enterré ces pages souillées de leur histoire.

Reste que sur la longueur, on finit par se lasser de cet étalage priapique. La précision comptable avec laquelle il rend compte de ses émois, et qui se traduit par des pages de notes en appendice, fait germer l’idée que Brown n’est pas juste le porte-parole des feux de l’amour adolescent, mais un gentil pervers qui ne s’ignore pas.

  • Le Playboy, de Chester Brown, éditions Cornélius, traduit de l’anglais (Canada), 232 pages.

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