Critique | Livres

Le livre de la semaine: Un chien dans le moteur, de Charles Portis

Charles Portis © DR
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ROAD NOVEL | L’auteur de True Grit troque les chevaux pour une balade motorisée à travers la faune mexicaine et les utopies seventies. Attention, route barrée!

Le livre de la semaine: Un chien dans le moteur, de Charles Portis

Encensé aux Etats-Unis depuis 1966 et la sortie de son premier roman, Norwood (inédit chez nous), Charles Portis est resté un parfait inconnu en terres littéraires francophones jusqu’à ce que les frères Coen décident en 2011 d’adapter -40 ans après Henry Hathaway- son roman culte, True Grit, publié à l’origine en 1968. Les éditions du Serpent à plumes profitèrent de l’occasion pour traduire enfin ce western moderniste s’aventurant sur les sentiers tortueux de la morale des pionniers.

Dans cette chasse à l’homme racontée par une ado déterminée à ramener un peu de justice dans ce monde de brutes, l’ancien journaliste du New York Herald Tribune démontrait une habilité certaine à camper des personnages hauts en couleurs et manifestait déjà un goût pour l’itinérance en territoire hostile, métaphore du voyage intérieur. Un scénario qui détournait astucieusement les codes du genre pour un résultat pourtant relativement fade. En tout cas pas à la hauteur des attentes inséminées par les hourra américains.

On pourrait faire le même reproche à son troisième roman, daté de 1979, Un chien dans le moteur, qu’exhume aujourd’hui les éditions Cambourakis. Tous les ingrédients d’un road novel bien barré se retrouvent dans la salade mais la vinaigrette stylistique manque de saveur et de piquant. Tom Wolfe a beau écrire que « Charlie est l’homme le plus drôle que j’ai jamais connu », si on suit avec un certain plaisir les pérégrinations en mode Kerouac de Ray Midge, de l’Arkansas à Belize (un Etat confetti collé sous la semelle du Mexique), on ne dépasse jamais le niveau deux sur l’échelle de l’hilarité. La faute à un style lymphatique et à un empilement de saynètes qui, s’il crée une distorsion intéressante avec le réel, à la manière d’un Beckett, finit sur la distance par donner le sentiment que l’auteur ne savait pas trop où il allait.

Lost in translation

Le roman commence sur les chapeaux de roue. Au sens propre et figuré. Ray Midge donc, ex-secrétaire de rédaction dans un journal local qui se verrait bien prof de lycée, se lance sur les traces de Guy Dupree, une vieille connaissance qui lui a piqué sa Ford Torino, sa carte de crédit et sa femme. Le relevé bancaire trahit les tourtereaux. Ils se sont enfuis au Mexique. Dans la plus pure tradition de la littérature vagabonde seventies, Ray va se coltiner en chemin une belle brochette d’allumés, de l’avocat qui recherche lui aussi les fugitifs pour récupérer son pognon aux hippies égarés dans leurs délires en passant par un clown prophète. Un médecin radié à la santé fragile converti à la pensée positive d’un obscur gourou tiendra compagnie à notre loser jusqu’à Belize, terminus de cette chevauchée psychédélique.

Commence alors la seconde partie de ce Macadam à deux voies tropical, allusion au road movie existentiel de Monte Hellman. Logé dans un hôtel miteux, Ray poursuit ses investigations au gré des témoignages plus ou moins crédibles d’une population locale qui navigue entre bienveillance et hostilité. Plus le temps passe, plus il se dilate, et plus le but de cette expédition devient flou. Au fond, Ray ne cherchait-il pas un prétexte pour fuir un quotidien au point mort? Se dépasser une fois dans sa vie minable? Quelques mésaventures et un ouragan dévastateur plus loin, il commencera à y voir plus clair. Il sera alors temps de rentrer.

  • DE CHARLES PORTIS, ÉDITIONS CAMBOURAKIS, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR ADÈLE CARASSO, 272 PAGES.

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