Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Souviens-toi de moi comme ça, de Bret Anthony Johnston

Bret Anthony Johnston © DR
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Confrontée à la disparition puis à la réapparition d’un fils, une famille ordinaire navigue entre désespoir et renaissance. Un premier roman efficace.

La disparition brutale d’un enfant est un thème récurrent de la fiction américaine. Une sorte de boîte de Pandore ultime dont l’ouverture libère des gaz toxiques pour tous ceux qui se trouvent à proximité de la victime. Surtout si celle-ci est introuvable. Au cinéma, Gone Baby Gone de Ben Affleck ou Prisoners de Denis Villeneuve ont utilisé ce puissant ressort narratif pour explorer l’un la face sombre de Boston, l’autre la métamorphose d’un père dévasté devenu incontrôlable.

Dans Souviens-toi de moi comme ça, Bret Anthony Johnston remet le sujet sur le tapis. Avec toutefois une variante qui fait l’originalité de ce premier roman encensé aux Etats-Unis: s’il ausculte les séquelles du trauma familial à la suite de l’évaporation inexpliquée d’un gamin sans histoire de 11 ans dans une bourgade côtière du Texas, Southport, il s’attache aussi et surtout à décrire la difficile reconstruction des liens affectifs quand Justin réapparaît miraculeusement quatre ans plus tard.

[Le livre de la semaine] Souviens-toi de moi comme ça, de Bret Anthony Johnston

Pendant ce laps de temps interminable, chacun des membres du clan Campbell a comblé l’immense vide comme il peut: la mère s’est prise de passion pour les cétacés, passant ses nuits à veiller sur un dauphin en piteux état, le père cherche un peu de réconfort dans les bras d’une maîtresse bienveillante, le grand-père qui tient un dépôt-vente se mure dans son irascibilité, et le jeune frère survit dans l’ombre écrasante du « héros » disparu en faisant du skate dans la piscine d’un hôtel désaffecté et en entretenant une relation avec l’excentrique Fiona.

Etude psychologique

C’est dans ce climat de survie qu’arrive le coup de fil libérateur. Sur un marché de la ville voisine, Justin est reconnu par une vendeuse. Dans l’émoi qu’on devine, l’ado est rendu à sa famille. Et son kidnappeur placé derrière les barreaux. L’euphorie n’est toutefois que de courte durée. Très vite, le doute s’installe. Justin a changé, il reste discret sur sa captivité, peine à retrouver ses marques. Quant à ses parents, ils se débattent avec les questions dérangeantes -a-t-il été violé?- et un fort sentiment de culpabilité qui jette comme un voile sur les retrouvailles. « Et puis il y avait le dégoût, l’humiliation de se rendre compte qu’il appréhendait de se retrouver seul avec son fils. » La greffe se révèle aussi délicate que l’amputation. Ce que Laura comprend vite. « Elle avait longtemps cru que la ligne de partage de son existence serait la disparition de Justin. Avant, après. La lumière, les ténèbres. Mais non, la véritable ligne de démarcation était son retour. » La libération surprise de Dwight Buford (ses parents ont payé la caution), vécue comme une nouvelle injustice, va encore compliquer la fragile tentative de recoller les morceaux.

Entre soif de vengeance et envie de tourner la page, entre haine et amour, le balancier varie au gré des états d’âme des uns et des autres. Ménageant habilement le suspense en distribuant la parole entre les acteurs du drame -sauf Justin-, Souviens-toi de moi comme ça interroge au fond la capacité de résilience et de résistance face à l’adversité. La mécanique romanesque est bien huilée. Un peu trop peut-être pour emporter totalement l’adhésion. Johnston n’est pas professeur de creative writing pour rien: tous les ingrédients du roman (et bientôt film) efficace semblent réunis ici pour emporter l’adhésion d’un large public américain. Jusque dans son happy end célébrant la victoire du bien sur les forces du mal.

ROMAN DE BRET ANTHONY JOHNSTON, ÉDITIONS ALBIN MICHEL, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR FRANCE CAMUS-PICHON, 440 PAGES.

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