Critique | Livres

[le livre de la semaine] Les Aventures de China Iron, de Gabriela Cabezón Cámara

© ALEJANDRA LÓPEZ
Anne-Lise Remacle Journaliste

Gabriela Cabezón Cámara revisite un classique de la littérature épique argentine avec un nouvel élan émancipateur, féministe et queer.

Née « fillette crasseuse aux pieds nus« , sans éducation, sans amour, China (une dénomination qu’on donne à toutes les Indiennes) était poussière parmi la poussière. À peine adolescente, elle a été cédée en gain de jeu à Martín Fierro. Soulagée lorsque celui qu’elle surnomme « le gaucho chanteur », décrit comme brutal, devient conscrit, la voilà désormais maîtresse de son destin. Accompagnée de son cabot Estreya, laissant ses enfants auprès d’un couple de vieux paysans, elle accepte de monter à bord d’une charrette pour aider Elisabeth, une Anglaise rousse qui doit retrouver son mari Oscar et l’estancia qui leur appartient. Au départ maladroites, les deux femmes finissent par tisser des passerelles entre l’anglais de l’une et l’espagnol de l’autre et s’apprivoisent dans la douceur, jusqu’à s’aimer. Les perspectives de China s’élargissent au fil de leur voyage, à mesure que Liz raconte son pays natal -qu’elle juge supérieur- et qu’elle-même dissout son ancienne vie dans le whisky. Arrivées au fortin, dirigé par le colonel Hernandez, elles sont les témoins de ses tentatives brutales de conversion à la « civilisation ». Il leur faudra chercher plus avant une façon d’enfin réconcilier dominants et dominés, de permettre aux Indiens d’avoir une pleine place dans l’Histoire. Cheminer encore jusqu’à refaire monde au Párana, en harmonie avec tous les êtres vivants et, qui sait, peut-être même trouver une forme de rédemption pour Martín Fierro?

Après Pleines de grâce, Gabriela Cabezón Cámara subvertit à nouveau les codes de la littérature de genre, en s’attaquant non seulement au western mais à un monument de la littérature argentine: El gaucho Martín Fierro de José Hernandez (1872). Ici auteur comme personnage apparaissent d’abord sous leur jour le plus brutal, tandis que China -l’objet d’un seul vers dans l’oeuvre originale- devient le point focal, celle qui se libère tant de ses chaînes que de l’invisibilité. Cette autrice à découvrir d’urgence rend alliés les oubliés de la littérature et les victimes des sociétés patriarcales et capitalistes et célèbre les marges comme terres d’autres possibles, débarrassées de toute forme d’autorité néfaste. Son style, qui n’hésite jamais à se faire pleinement charnel, est pétri d’une poésie qui elle aussi est émancipatrice: sur un pied d’égalité, l’anglais, l’espagnol et le guarani dansent en sarabande (on saluera l’excellente traduction de Guillaume Contré). Vous aviez goûté au charme de traverse de Faillir être flingué de Céline Minard ou à la détermination de Michelle Williams dans La Dernière Piste (film de Kelly Reichardt)? Les Aventures de China Iron, en preuve vibrante qu’il est urgent de penser d’autres récits, vous feront chavirer pour de bon.

Les Aventures de China Iron

Roman de Gabriela Cabezón Cámara, éditions de l’Ogre, traduit de l’espagnol (Argentine) par Guillaume Contré, 256 pages. ****

[le livre de la semaine] Les Aventures de China Iron, de Gabriela Cabezón Cámara

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