[Le livre de la semaine] Leïlah Mahi 1932, de Didier Blonde

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Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

À partir d’une stèle énigmatique du Père-Lachaise, Didier Blonde mène une enquête littéraire et sensible sur la vie fantasmée d’une Parisienne des années folles.

Le livre commence par quelques pages d’un bel hommage à J-B Pontalis, philosophe, psychanalyste et directeur de la collection L’un et l’autre chez Gallimard, où aurait dû paraître ce livre si l’éditeur n’était pas décédé entre-temps, en 2013. « Lui aussi aimait la compagnie des fantômes« , écrit Didier Blonde, écrivain dont on sait le penchant pour les cimetières et leurs fictions dormantes. C’est d’ailleurs dans les allées du Père-Lachaise, dont Blonde parle comme d’un « musée en plein air« , que commence cette histoire romantique: parti sur les traces de la tombe de Georges Perec, l’écrivain raconte s’être égaré dans les allées jusqu’à faire face à un portrait retenant soudain toute son attention. La photo, celle d’une femme en turban de perles (une photo heureusement reproduite sur la couverture du livre), est placée sur une niche du columbarium parisien, assortie d’un nom et d’une seule date, déjà à demi effacée: « Leïlah Mahi 12 août 1932. » Les yeux, d’une profondeur insondable, l’intriguent et l’aimantent; leur énigme le plonge instantanément dans une rêverie que démultipliera encore la littérature -« On n’écrit pas sans désir« , avance-t-il justement, en même temps que cette conviction: la belle anonyme est bien trop électrisante pour ne pas avoir été « quelqu’un ». Danseuse assassinée? Princesse orientale dans des revues de music-hall? Vamp de cinéma muet? Travesti? Prostituée? Femme de lettres? Chantre d’un érotisme noir? Amie de Kiki de Montparnasse? Ultime amante de Radiguet? Modèle pour Foujita? Blonde se lance dans une authentique enquête auprès du Service des cimetières de la ville de Paris, des archives de la Bibliothèque nationale de France ou de la Gaumont. En vain -ou à peu près.

La femme au portrait

[Le livre de la semaine] Leïlah Mahi 1932, de Didier Blonde

Approcher des vies anonymes ou suffisamment effacées pour laisser place à la littérature: le nouveau livre de l’auteur de Carnet d’adresses vient en fait réaffirmer le goût prononcé de ce dernier pour les héros masqués, les figurants de cinéma muet, les morts obscures de jeunes inconnues, enfuies avec leurs secrets (Blonde a consacré un livre, Un amour sans paroles, à l’actrice oubliée Suzanne Grandais, et un autre à une jeune Parisienne non identifiée des années 1880, L’Inconnue de la Seine -volumes avec lesquels ce dernier vient former une sorte de trilogie). Amoureux discret de Musidora, disciple caché de Baudelaire ou Fantômas, Didier Blonde est ce « pisteur de fantômes » et de belles endormies: un écrivain capable de passer des jours entiers l’esprit dans une autre époque, à caresser la mémoire, les simultanéités, les possibles perdus pour toujours -comme dans ces pages où il réalise un collage cubiste des titres de journaux et petites annonces d’époque, faisant revivre le dernier 12 août 1932 de son héroïne de manière très sensible. Et si le livre ultra nostalgique de Didier Blonde (qui vient de recevoir le prix Renaudot de l’essai 2015) évoque Patrick Modiano, ce n’est pas seulement pour la similaire litanie des noms de rues d’un Paris perdu, l’odeur des vieux annuaires de téléphone et la piste d’une femme mystérieusement disparue. C’est aussi par cette conviction, ultra modianesque et presque spirite, que la littérature est ce geste d’un autre temps, d’une patience infinie, qui permet d’entrer en contact singulier avec un être en particulier -vivant ou mort. « Chaque livre est une lettre adressée poste restante. Il renferme un nom codé, une phrase secrète, un message crypté, destiné à être déchiffré par un seul lecteur. » Et, quand il est réussi, à en envoûter incidemment des centaines d’autres.

DE DIDIER BLONDE, ÉDITIONS GALLIMARD, 128 PAGES.

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