Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Le Majestic, de Robert Alexis

Robert Alexis © DR
François Perrin Journaliste

ROMAN | Une décennie après la publication de son premier roman La Robe, l’énigmatique Robert Alexis envoie en salle un dixième roman d’une éclairante obscurité.

Ils sont deux, un géologue emmuré dans sa tête et une biologiste en stagnation existentielle, à débarquer coup sur coup en un espace carcéral coupé du tourbillon de la vie: un musée, belle bâtisse perdue en petite ville de province, pourvue en gardien taciturne, caves spacieuses et galeries à tel point qu’on pourrait y traquer donjon et trésors. Lui, Judet, n’éprouve qu’aversion et malaise à l’égard des occupations pavloviennes de ses contemporains, et de manière générale vis-à-vis de l’intemporelle propension des Hommes à nommer, classifier les choses et concepts pour mieux les ranger en boîtes réconfortantes afin d’oublier que tout n’est que chaos… Et ce alors qu’il serait bien plus honnête, conforme à notre condition sans doute, de céder à la confusion générale pour accepter enfin de n’occuper que l’espace ridicule que l’Univers a réservé à l’improbabilité de notre présence: « Je veux être prisonnier de la nuit. Je veux, sous son influence, tâtonner, me traîner à genoux. Mon corps connaîtra ce que mon âme connaît depuis longtemps. »

Quant à elle, Arsenieva, elle ne réalise qu’un peu tard que sa vie a filé comme l’air d’un ballon percé, que la voilà bien seule et sans grand espoir de mener grand train à l’avenir, ni même petits soubresauts d’excitation à heures fixes. Une chance pour ces deux-là: l’établissement est géré de main de maîtresse par « la directrice », présence spectrale et autoritaire, élevée « fantôme » de père en fille, et qui va les guider, presque sans un mot, chacun, sur la voie de leur épanouissement mystico- sensuel.

Maîtresse directrice

[Le livre de la semaine] Le Majestic, de Robert Alexis

Pour Judet, auquel il manque un interlocuteur pour parachever son programme de « développement personnel » à l’abri du monde (« Je vis dans une cave, je m’y déshabille et je répertorie des cailloux »), la directrice imposera une stricte partition, pour une bacchanale nocturne à laquelle des rats seront conviés: au programme, s’ensevelir dans l’avilissement. Pour sa jeune collègue, qui commence à souffrir d’une solitude pesante de thésarde quadragénaire, Madame Vial s’imposera figure tutélaire ayant digéré le « mal sans remède » qui la taraude pour y cultiver un parterre de fleurs effrayantes aux parfums enivrants: ainsi, Arsenieva fera son apprentissage de « veuve noire » de sex-shop en bordel chic, ou dénudée en église comme une image d’Épinal sacher-masochienne, jusqu’à dispenser ses cruels offices en appartement contre espèces, puis poursuivre sa route carmin.

Femmes maîtresses contre hommes soumis? Pas seulement. Il s’agit d’observer ceux qui, versés plutôt dans l’étude du vivant, trouvent en ceux qui ne rêvent que minéral les âmes soeurs nécessaires à leur propre équilibre. Comme Vial souhaitera à la biologiste de « trouver [son] Judet » pour parvenir enfin à comprendre ce qu’elle peut bien avoir à faire en ce bas monde, Alexis semble ici claironner sans couac ni effet de manche une vérité essentielle: plutôt qu’attendre en frétillant l’ouverture des soldes ou de la fête foraine, le feu vert aux juillettistes ou l’augmentation du tarif des locations en stations pour s’y précipiter, et si on s’arrêtait trois secondes pour déterminer pour quoi on palpite, de quel bois on est fait, et on va bien pouvoir se chauffer?

DE ROBERT ALEXIS, ÉDITIONS LE TRIPODE, 200 PAGES.

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