Critique | Livres

[le livre de la semaine] Le Fils de l’homme, de Jean-Baptiste Del Amo: hériter du poison

© Francesca Mantovani / éditions Gallimard
Anne-Lise Remacle Journaliste

Dans un huis clos montagnard tendu, Jean-Baptiste Del Amo explore, entre masculinité toxique et survivalisme, la transmission de la violence.

Ils sont trois à se diriger vers les Roches, à devoir abandonner la voiture à cause d’un tronc renversé sur la route et continuer leur route à pied, lestés de sacs. Dans cette expédition dans un paysage mouvant, et qui a déjà tout d’un retrait du monde, il y a là le père, initiateur de leur fuite de la ville, la mère et le garçon sur ses traces, contraints par cette décision. L’homme a disparu de leurs vies depuis six ans, suite à ses petits trafics automobiles. Dissous des mémoires, il avait laissé la place à un lien fort entre la femme et l’enfant, neuf ans désormais, pris dans des routines sans heurts. Mais une obstination folle tenaille le père. Il est persuadé que leur situation peut être recousue pour eux trois, qu’il y a une rédemption possible et qu’elle doit avoir lieu dans la masure de montagne où lui-même, encore adolescent, a vécu avec son propre paternel endeuillé. Sur place, il entreprend d’apprendre à son fils à tirer et lui enseigne la méfiance de l’amour. Il répare comme il peut le délabrement criant de la baraque familiale. Mais rien dans sa vision fantasmatique ne se réalise comme il le voudrait: enceinte d’un autre, la mère se mure dans la douleur et des intempéries ont raison de leur toit. Insidieusement, la colère et la folie qu’il a jadis constatées chez son géniteur font leur chemin en lui. « Et il n’y a pas pire qu’un homme blessé« … Où s’arrêtera le drame?

Entre ses mains

Si l’auteur de Règne animal place ici son texte dès les prémices sous l’aura d’un récit ancestral (à l’époque pariétale, un enfant, né au sein du clan et dans la douleur, va apprendre à chasser avec son père, pour survivre), c’est qu’il n’y a aucun doute possible: le sang va couler, la douleur va croître, les gestes brutaux se reproduiront. Dans la relation triangulaire entre le père, la mère et le garçon (jamais nommés, comme pour ajouter au poids du destin), les mains de l’homme sont d’ailleurs le signe de son emprise, de la façon dont il gagne l’ascendant et dont se manifeste sa fureur. D’autres indices nous chevillent à ce qui va se nouer. Dans la langue de Del Amo, précise et incantatoire, la nature se montre hostile ou impénétrable, grouillante ou odoriférante, parfois jusqu’au pourrissement. Dans les possessions conservées par la mère au fil des ans, il y a une photo de l’homme avec ses amis, camouflés pour une partie de chasse. On ne peut s’empêcher de songer un instant à Voyage au bout de l’enfer (en version originale, plus à propos, The Deer Hunter) qui juxtapose l’insouciance de jeunes ouvriers et les horreurs qu’ils ont eues à perpétrer et vivre au Viêtnam. Dans Le Fils de l’homme, la guerre est surtout intérieure mais, dans un déterminisme inéluctable, elle ronge tout sur son passage: filiation, espoir, réconciliation. C’est terrible.

Le Fils de l’homme

De Jean-Baptiste Del Amo, éditions Gallimard, 240 pages. ****

[le livre de la semaine] Le Fils de l'homme, de Jean-Baptiste Del Amo: hériter du poison

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