Critique | Livres

Le livre de la semaine: La Chute des princes, de Robert Goolrick

Robert Goolrick © Jeremy Leadbetter
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ROMAN | Dans la fièvre des années 80, de jeunes requins de la finance brûlent la chandelle par les deux bouts. 20 ans plus tard, l’un d’entre eux raconte. Risky business…

Le livre de la semaine: La Chute des princes, de Robert Goolrick

C’est dans le bassin infesté de requins bronzés et musclés de la finance des années 80, récemment revisité par Scorsese himself dans le pétaradant The Wolf of Wall Street, que Robert Goolrick nous replonge la tête la première. Feu d’artifices permanent, cette époque d’excès et de cynisme marque une sorte de pic, d’état de grâce dans l’Histoire du capitalisme. Parce que ses dessous sales n’étaient pas encore visibles. Et que l’illusion d’avoir trouvé la formule magique pour faire du pognon sans trop de dégâts pouvait encore berner le clampin. L’avenir appartenait alors à ces vampires éphèbes qui jonglaient avec les milliards des autres, se sucraient largement au passage, et dépensaient sans compter en restos surfaits, en cocaïne extra pure, en voitures de luxe et en vêtements griffés.

Plus dure sera la chute

Le narrateur de cette confession brûlante a bien connu ce cirque. Rooney en était même l’une des attractions phares, recruté par La Firme, le saint des saints new-yorkais, avant d’en être éjecté brutalement, pour un faux pas avec un riche client (ce qui nous vaut une scène d’anthologie dans un restaurant russe) et une addiction hors de contrôle à toutes sortes de substances. Retour brutal à la réalité, le milieu rejetant avec la même ferveur ce qu’il a adoré juste avant. 20 ans plus tard, devenu un modeste vendeur dans une librairie Barnes & Nobles et trimballant une encombrante image de loser, l’ex-trader revient en détails sur ces années de consommation frénétique, à la fois lucide et nostalgique. Le refrain est connu -le fric, la débauche, la défonce, les carrés VIP, le mépris royal…-, mais la puissance de l’argent n’en finit pas de sidérer, comme un acide capable de dissoudre tous les cadenas moraux. « On veut tout, et vous pouvez nous tuer sous le joug, on s’en tape (…). On veut cramer notre vie dans une course furieuse, on veut saccager, piller notre quartier, violer et détruire nos amis les plus chers. » Voilà pour l’état d’esprit guerrier de ces jeunes prétentieux bien nés qui profitent à fond d’un système qu’ils n’ont pas créé mais qu’ils sont les premiers à détourner à leur profit. De cet enfer doré, il a gardé le souvenir intact de sa femme Carmela, qui le quittera du jour au lendemain, de ses clones, de chaque paire de chaussures John Lobb, des étoffes Hermès, des beuveries indécentes et aussi des cadavres qui ont jonché la route impitoyable vers les sommets (la brebis égarée Jools ou Harrison l’homo qui a chopé le sida et s’est défenestré plutôt que d’affronter le regard de ses parents).

Comme dans Arrive un vagabond, son précédent roman, Goolrick laisse infuser lentement le désastre. Il ne juge pas, il observe la ronde des sentiments, se gardant bien de condamner ce personnage carbonisé. Pour se consoler, le prince déchu ne pourra compter que sur… Proust et sur un travelo bienveillant qui fait le trottoir en bas de son Illustre Taudis. Une drôle de fée venue l’absoudre de ses crimes et lui montrer la valeur de l’amour. Rien de cul-cul pour autant, juste un éclair de lumière et d’humanité dans une vie sacrifiée à un idéal matérialiste vorace. Un geste d’affection qui, lui, n’a pas de prix.

  • La Chute des princes, de Robert Goolrick, éditions Anne Carrière, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie de Prémonville, 234 pages.

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