Critique | Livres

Le livre de la semaine: Gil, de Célia Houdart

Célia Houdart © Bamberger
Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

ROMAN | Épousant la trajectoire d’un ténor prodige, Célia Houdart livre dans Gil une partition romanesque sensible et singulière.

Le livre de la semaine: Gil, de Célia Houdart

On l’avait découverte en 2007 avec Les Merveilles du monde, un premier roman curieux qui sondait la vie, les perceptions et les souvenirs d’un photographe suisse après qu’un orage avait fait exploser les fenêtres de son appartement. Une histoire d’amour et de voyage qui révélait une voix singulière, venue du théâtre expérimental (Célia Houdart crée des parcours et performances sonores). Quelques années et livres plus tard (Le Patron en 2009 puis Carrare, prix Françoise Sagan en 2012), la dramaturge est de retour avec Gil, un quatrième roman qui confirme tout l’intérêt qu’on lui a porté jusqu’ici.

L’histoire tient en peu de mots, elle est celle de Gil (de Andrade, « un nom de conquistador »), jeune pianiste franco-portugais monté à 18 ans à Paris, que la découverte de son exceptionnel don vocal détournera d’une carrière d’instrumentiste pour lui faire embrasser celle de ténor-star, de Tokyo à Londres et jusqu’à Carnegie Hall. Le trajet d’une authentique vocation, le long d’un fil existentiel d’abord ténu puis de plus en plus assuré au gré des rencontres, visions et coïncidences d’un parcours subjectif. Gil est un héros très discret, peu bavard, à l’arrière-plan duquel gravitent une mère internée à « Belle Idée » (fragile comme les papillons dont elle s’entoure), une professeur de piano qui collectionne les bracelets sonores, un chasseur d’autographes à la mâchoire étrange, et des histoires d’amour (avec les deux sexes) brèves comme des orages d’été.

Impressionner la rétine

Nous sommes dans un passé indéterminé, pré-virtuel (l’importance des téléphones fixes, des journaux), dans une valse de fuseaux horaires, et où -jeu curieux- l’ensemble des références musicales (titres d’opéras, de sonates et compositeurs) est le pur produit de l’imagination de l’auteure. Dans cette atmosphère tranquille, flottante, Célia Houdart procède par son écriture pointilliste et ciselée, qui recèle une large part de mystère. Une partition pleine d’économies et de silences (y compris typographiques). Ni descriptions ni étude psychologique: résolument anti-balzacienne, la romancière choisit pour cerner son personnage une troisième voie, celle du fragment et du sensoriel (odeur, bruits, visions). Souvent à la limite de l’insignifiance, son héros est régulièrement sauvé de la transparence par sa réception ultra subjective, légèrement synesthésique du monde. C’est là que Célia Houdart exerce véritablement son geste d’écrivain: en soulignant ce qui fait rupture, ce qui dénote, dans quelques instantanés disparates qui impressionnent durablement la rétine. Ici le dos d’un professeur de piano (« Il avait dans le cou, exactement le long de la nuque, une tache de vin. Lorsqu’il jouait, certains voyaient une tête qui saigne »), là une salle d’attente (« Les vitraux colorés diffusaient ce jour-là une curieuse lumière qui inversait les vides et les pleins ») ou une envolée botanique (« Dans le jardin, les tiges nues des rosiers grimpants semblaient saisies par un coup de flash au magnésium »). Livre sobre titillé par l’excentricité, Gil voit l’une des clés de son mystère (involontairement?) exposée au détour d’une page -quelque chose comme une manière similaire, pour le pianiste et l’écrivain, d’envisager l’interprétation: « Gil se réinstallait au piano, fixait les signes noirs et blancs de la partition pour en tirer des couleurs. »

  • DE CÉLIA HOUDART, ÉDITIONS POL, 240 PAGES.

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