Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Consumés, de David Cronenberg

David Cronenberg © Nicolas Guerin/Conto
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

ROMAN | Cronenberg signe un premier roman à l’image de son cinéma, mêlant sexe, technologie, philosophie, consumérisme et autres, dans une intrigue hallucinante.

Cinéaste majeur, David Cronenberg n’a jamais fait mystère de ses connivences littéraires, et son oeuvre est pavée d’adaptations brillantes de Stephen King (The Dead Zone), William S. Burroughs (The Naked Lunch), J.G. Ballard (Crash) ou autre Don DeLillo (Cosmopolis). De là à ce que le réalisateur canadien ne contracte le virus de l’écriture, il n’y avait donc qu’un pas, franchi aujourd’hui avec Consumés, un premier roman à l’image du meilleur de son cinéma, audacieux et déroutant.

[Le livre de la semaine] Consumés, de David Cronenberg

Epousant la forme d’une double enquête, le récit suit alternativement Naomi Seberg et Nathan Math, un couple de photojournalistes à sensation arpentant le globe séparément en quête d’histoires sordides -bien dans l’air d’un temps voyeuriste comme hyperconnecté et désincarné. Démarche qui emmène la jeune femme à Paris, où Célestine Arosteguy, une philosophe dans la soixantaine, a été sauvagement assassinée, son mari Aristide ayant disparu dans la nature, suspecté de faits de cannibalisme sur le corps de la défunte. Cela, alors même que Nathan débarque à Budapest afin d’effectuer un reportage sur un médecin à la réputation et aux pratiques sulfureuses, circonstances qui le conduiront à attraper la « maladie de Roiphe » en couchant avec l’une de ses patientes. Et l’intrigue de se déployer ensuite entre Tokyo et Toronto, suivant une structure dont les lignes ne s’éloigneraient que pour mieux converger.

Travail au corps

« Elle était tellement convaincante dans l’invention des détails de son mal et de la conspiration qui l’entourait qu’il revêtait une substantialité impérieuse, comme lorsqu’on se retrouve englouti dans la réalité d’un roman brillamment écrit ou d’un film charismatique », écrit David Cronenberg, et Consumés est l’un de ces romans-mondes par lesquels le lecteur se trouve absorbé, sans que ce cocon n’ait rien de rassurant pour le coup. Comme en prolongement de son oeuvre cinématographique, l’auteur y donne forme à ses obsessions, travaillant, au confluent du sexe et d’une technologie omniprésente, des corps métaphoriques ou malades; convoquant une philosophie du consumérisme dont l’expression ultime pourrait être le cannibalisme; oscillant entre fétichisme maniaque et digressions inattendues (dont l’une débouche sur la prison de Saint-Gilles); citant Beauvoir et Sartre comme Psycho; faisant encore rimer romantisme et conspirationnisme; agrémentant ses descriptions d’une précision clinique de ce qu’il faut d’ironie mordante, et l’on en passe, tous traits singuliers distillés au gré d’une intrigue hallucinée à l’étrangeté aussi (ir)réelle que visionnaire. Du pur Cronenberg donc, l’auteur d’eXistenZ et autres Faux-semblants signant là un essai on ne peut plus concluant, un roman foisonnant qui, s’il a le don de déstabiliser, laisse plus sûrement encore fasciné.

DE DAVID CRONENBERG. ÉDITIONS GALLIMARD. TRADUIT DE L’ANGLAIS (CANADA) PAR CLÉLIA LAVENTURE. 372 PAGES.

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