Critique | Livres

[le livre de la semaine] Billy Wilder et moi, de Jonathan Coe

© F. MANTOVANI / GALLIMARD
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Jonathan Coe part à la rencontre de Billy Wilder à la suite d’une jeune femme lui servant d’interprète sur le tournage de Fedora. Virtuose et mélancolique.

Jonathan Coe, romancier à l’esprit aiguisé, auteur, parmi beaucoup d’autres, des impeccables Testament à l’anglaise et Bienvenue au club, est aussi un cinéphile averti à qui l’on doit notamment une excellente biographie de James Stewart. C’est somme toute naturellement que Billy Wilder et moi, son nouvel opus, opère une synthèse inspirée entre cinéma et romanesque, l’écrivain britannique y doublant le récit d’apprentissage d’un portrait de cinéaste, et pas n’importe lequel: Billy Wilder, le réalisateur de Certains l’aiment chaud et La Garçonnière, mais aussi d’oeuvres crépusculaires comme Sunset Boulevard ou Fedora.

Mélancolie latente

C’est précisément à la veille d’entamer le tournage de ce dernier, par un soir de l’été 1976, que l’on découvre l’esthète d’origine viennoise dans un restaurant huppé de Los Angeles, où atterrit presque accidentellement l’héroïne du roman. Elle est grecque et s’appelle Calista, est âgée de 21 ans et a entrepris une traversée des États-Unis en mode routard, les circonstances l’emmenant à partager la table de Wilder et de son partenaire d’écriture, I.A.L. Diamond. La jeune femme ignore tout de son hôte illustre, ce dernier a l’élégance de s’en amuser in petto plutôt que de s’en formaliser . Mieux même: quelques mois plus tard, elle reçoit un appel l’invitant à servir d’interprète sur le tournage de Fedora, l’avant-dernier film du maître, devant débuter à Corfou. S’ensuit un récit en miroir où, à l’émerveillement de Calista s’enivrant de sensations inconnues, répond le désenchantement lucide d’un artiste ayant compris que ce qu’il avait encore à offrir, « plus personne n’en voulait vraiment« . Et certainement pas Hollywood, qui n’en a alors que pour la génération des « jeunes barbus« , les Coppola, Scorsese et autre Spielberg, le roman embrassant « un monde où la joie de vivre coexistait immanquablement avec une mélancolie latente et implacable« .

Écrit d’une plume agile, Billy Wilder et moi serpente entre les époques au gré d’une architecture toute cinématographique, allant jusqu’à adopter la forme d’un scénario le temps d’une mise en abyme plongeant dans les souvenirs les plus douloureux du cinéaste. Si la virtuosité narrative de Jonathan Coe n’est plus à souligner, pas plus d’ailleurs que sa capacité à restituer une atmosphère, l’auteur y ajoute l’humour et un esprit que n’aurait pas manqué d’apprécier le réalisateur de Sept ans de réflexion. Jusqu’à conférer à ce roman arpentant les allées crépusculaires du temps qui passe un tour délicatement grisant. Et s’il y a bien là l’un ou l’autre accès de sentimentalisme facile, on laissera la chute au Billy Wilder de Certains l’aiment chaud: « Nobody’s perfect »…

Billy Wilder et moi

De Jonathan Coe, éditions Gallimard, traduit de l’anglais par Marguerite Capelle, 304 pages. ****

[le livre de la semaine] Billy Wilder et moi, de Jonathan Coe

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