L’enfer me ment: le confinement d’Oscar Coop-Phane

© ILLUSTRATION: MICOL
Oscar Coop-Phane
Oscar Coop-Phane Écrivain

Chaque semaine, un dessinateur et un écrivain nous proposent une carte blanche sur le thème du coronavirus.

Oscar Coop-Phane, dernier ouvrage paru: Morceaux cassés d’une chose, éditions Grasset.

Il y a parfois des petites histoires personnelles que l’on doit abandonner. Quelqu’un aura fait mieux, plus drôle, plus cocasse, ou pire, il aura dit plus fort ce que vous chuchotiez et il aura gagné.

J’ai dû abandonner plusieurs anecdotes de ma vie -plus dignes d’être racontées.

Je voudrais écrire ici, pour la dernière fois, une légère histoire qui bientôt n’aura plus aucune saveur, qui perdra quelque chose de sa force, de son odeur.

C’était en 2010. Oui, dix ans pile-poil -si je croyais à la numérologie, j’y noterais quelque chose. Mais j’ai peu de superstitions. Je lis mon horoscope quand je suis amoureux, je joue des jours, des mois de naissance à la roulette, comme tout le monde en somme. Je n’ai pas, comment dire, la science des prédictions dans un coin de ma caboche.

En 2010, disais-je, je rentrais d’Allemagne. J’avais 20 ans, et je me suis vu sombrer -sans blague et sans fierté. Des excès à tout-va et je me voyais confronté à une crise sanitaire, personnelle celle-ci. Je devais me soigner, me sevrer, comme auraient déclaré sûrement les médecins que je n’étais pas allé voir.

J’ai bien essayé de fuir à la campagne, mais je n’ai pas trouvé de maison. Je me suis retrouvé dans un appartement qui n’était pas le mien, à préparer mon enfermement. Je suis allé faire des courses. Boîtes de conserve, steaks hachés, pâtes bien sûr et cartouches de cigarettes. Combien de temps resterais-je? Le temps de me soigner, sans compter les jours.

J’ai fermé les volets, j’ai coupé mon téléphone. Par goût du défi peut-être aussi, j’ai débranché la box internet et je me suis retrouvé là, avec mes cinq cartouches de clopes, seul sur un lit, à attendre que mon corps se calme, qu’il se retrouve, et qu’il se libère de ce manque qui me grattait comme une maladie de peau.

Qu’ai-je fait alors? J’ai eu des fièvres, j’ai regardé la télévision, j’ai lu Proust aussi et, pour la seule fois de ma vie, j’ai fait des pompes, puisque cela devait correspondre à l’idée que je me fabriquais du taulard.

J’écrivais un mauvais texte qui parlait d’un type retranché chez lui pour d’obscures raisons. Le titre même du document Word n’était pas très heureux: L’enfer me ment.

Je n’étais pas lassé de mes steaks et de mes boîtes de conserve -les rituels m’ont toujours rassuré.

Je me suis soigné seul -et là je savoure mon cliché-, grâce à la lecture de La Recherche et à Joséphine, ange gardien. Je mentirais en disant que j’en garde un souvenir amer, comme une bulle de pus coincé dans la gorge. Non, c’est un souvenir absolument neutre, comme hors de moi. Je peux en parler beaucoup, mais j’y repense rarement.

Et voilà mon problème aujourd’hui, je le confesse: je pouvais en parler beaucoup. Mon sevrage ne m’intéressait, dans ces discussions, que parce qu’il avait été un enfermement. On ne parlait pas alors de confinement et j’y apposais une dénomination plus violente, plus radicale.

Alors, je ne veux certainement pas dire ici que j’ai déjà vécu la situation que nous traversons tous aujourd’hui, mais simplement que l’autre, celle que je croyais mienne, n’a plus aucun piquant.

Je suis resté un mois enfermé dans un appartement -oui, vous aussi. Bon, et on fait quoi alors?

Eh bien, vous vous en doutez, je n’ai pas de réponse. Tout comme je ne sais pas ce que je ferai quand ce confinement cessera. Qu’avais-je fait en sortant, il y a dix ans, après un mois de solitude brutale? Croyez-le ou non, je ne m’en souviens pas. J’ai dû aller boire un café ou un Perrier. J’ai dû allumer une cigarette sur le trottoir en regardant une Clio passer. Je ne sais plus, mais qu’importe -cette histoire, je ne la raconterai plus. La réalité l’a chassée. C’est sûrement mieux ainsi. Cette histoire, de moi ne disait rien. Et je croyais en commençant ce texte être malheureux de la perdre, mais au fond, déjà, elle ne m’appartenait plus, avant même nos confinements généralisés, avant les débats absurdes qui tentent de dire si un écrivain a le droit ou non, aujourd’hui, d’écrire son quotidien dans une maison de campagne, au prétexte qu’il n’est pas médecin ou clochard céleste.

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