Laurent Raphaël

L’édito: Péril en la demeure

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Si l’être humain était doté du minimum de jugeote qu’on lui prête ou qu’il prétend détenir, il devrait s’alarmer fissa de la fin prochaine du monde. Pas en mode décontracté de celui qui envisage de faire un geste pour le climat en troquant ses coton-tiges en plastique contre des modèles en bambou. Mais bien en mode panique totale de celui qui interrompt brutalement le cours normal de son existence pour tenter d’éteindre l’incendie qui a déjà ravagé le rez-de-chaussée de son habitation.

Dans un monde lucide, on devrait vivre désormais avec la peur au ventre, craindre pour sa vie et celle de ses enfants, et tous, qu’on soit riche ou pauvre, de gauche ou de droite, d’ici ou d’ailleurs, entrer prestement en décroissance. C’est-à-dire laisser sa voiture (diesel, essence ou électrique) au garage, voyager et consommer local, freiner sur la bidoche, boycotter Amazon et autres plate-formes de commerce en ligne, privilégier le troc et le seconde main, transformer son carré de pelouse en potager ou encore réduire immédiatement la taille de son cloud (qui n’est pas logé dans le ciel mais dans des serveurs très gourmands en électricité).

À quelques rares exceptions près, on est pourtant loin du compte. Les manifs pour le climat, pourtant dopées par la sève de la jeunesse, ont fait plouf. Tout comme les COP successives dont les modestes promesses ont été cyniquement enterrées au nom de la realpolitik. Résultat: on continue à polluer gaiement. Comme si nos petites préoccupations passaient avant l’extinction de la vie. Ou comme si on n’y croyait pas vraiment. Ou comme si Dieu allait nous sauver. Ou la science. Et pourquoi pas Superman aussi?

Qu’est-ce qui nous empêche d’agir? Le problème ne vient pas du cri d’alarme. Les médias comme les artistes (dernière en date, Fred Vargas, qui délaisse le polar pour un essai-tocsin, L’Humanité en péril, dans lequel elle aligne les chiffres affolants dont il ressort qu’on va bien dans le mur si on continue à rissoler la Terre) relayent abondamment les rapports alarmants des institutions, GIEC en tête, qui ne prennent plus de gants pour décrire la situation: si on n’agit pas tout de suite, la fin de l’humanité est proche, avec en hors-d’oeuvre la disparition d’un million d’espèces animales et végétales (soit une sur huit) à très court terme. Quant au clap de fin, il n’est pas pour dans 1000 ans, même pas pour dans 100 ans, non, il est pour dans quelques décennies si on ne fait pas marche arrière toute. Il faudrait limiter le réchauffement climatique à 1,5 degrés pour espérer limiter la casse. Or on est partis pour flirter avec les 3 ou 4 degrés (soit 10 degrés sur les continents…) d’ici 2100. Ce qui condamnerait de facto une bonne partie de la population mondiale.

Qu’est-ce qui nous empu0026#xEA;che d’agir? Le problu0026#xE8;me ne vient pas du cri d’alarme.

Comment expliquer alors que le déclic tarde à venir, voire pire que certains prennent même l’autoroute à contre-sens, comme le Brésil de Bolsonaro, qui a relancé de plus belle l’exploitation de l’Amazonie (+54% de déforestation en janvier 2019)? La réponse est complexe, tentaculaire comme peut l’être le capitalisme. Et les pistes pour sortir le monde de la torpeur incertaines. Marc Dugain (qui publie son premier roman d’anticipation, Transparence) estime que seule une nouvelle spiritualité (pas au sens religieux mais culturel) nous inciterait à sortir du système actuel. On peut aussi imaginer une thérapie de choc, inspirée de la fiction. L’apocalypse y est toujours représentée par une menace qui frappe l’imagination: un monstre XXL dans Godzilla, une planète qui s’apprête à percuter la Terre dans Melancholia. Ces images fortes aident à prendre la pleine mesure du danger. La crise actuelle ne mobilise pas parce qu’elle n’est pas assez spectaculaire. Les rivières s’assèchent, les nappes d’eau diminuent, les glaciers reculent. Des signes clairs de la catastrophe à venir mais qui n’enflamment que l’imagination des scientifiques.

Pour autant qu’ils se réveillent à temps, les gouvernements devraient peut-être engager des scénaristes et des metteurs en scène (comme ils l’ont fait pendant la Seconde Guerre mondiale pour les films de propagande) pour rendre la menace plus visible, plus palpable. On pourrait par exemple imaginer de lâcher dans les rues et le métro des acteurs déguisés en zombies, ou simuler avec l’aide de l’armée des tremblements de terre ou une attaque extraterrestre, ou encore organiser des pénuries ponctuelles d’eau et de nourriture, histoire de ranimer cet instinct de survie englué dans le petit confort bourgeois. Aux grands maux les grands remèdes hollywoodiens!

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