Laurent Raphaël

L’édito: Le vers dans le fruit

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

À la veille d’un Poetik Bazar qui va en égrener toutes les couleurs, toutes les nuances, tous les registres, du plus intime au plus politique (lire les détails sur le festival), et au lendemain d’une succession d’indices concordants (le succès des Fleurs de funérailles initié par le poète national Carl Norac pour offrir une couronne de mots aux victimes du Covid, la proportion de jeunes aèdes dans la liste des dix candidats encore en lice pour le prix littéraire Fintro 2021…), la poésie rayonne désormais bien au-delà de la cage scolaire et compassée où elle a longtemps été enfermée. De nouvelles générations, assoiffées d’images qui percutent et propulsent la pensée vers l’infini et au-delà, en ont scié les barreaux et libéré le grain de folie.

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Sa vivacité nouvelle se mesure à la variété des profils qui se calent sur sa pulsation magnétique pour dire -ou plutôt faire ressentir car la versification est avant tout affaire de sensations et de mystère- les tourments de l’âme, du corps ou les vicissitudes du patriarcat. Un courant d’air linguistique qui apparaît comme un antidote à la langue de bois ripolinée des politiques et plus encore à la technolangue sans âme et sans scrupule qui assigne les individus avec le sourire de winner et vide de sens les verbes, transformés en ampoules scintillantes de la grande mystification néo-libérale.

Hasard du calendrier, ou facétie d’Apollon, le dieu grec qui veille depuis la nuit des temps sur tous les Sophocle, on fête cette année les 200 ans de la naissance de Charles Baudelaire. Deux cents ans et toutes ses dents. Les textes du dandy syphilitique n’ont en effet rien perdu de leur mordant, de leur poison, de leur pouvoir d’envoûtement maléfique. C’est d’ailleurs sur le même versant explosif, tortueux, inventif et décomplexé que bon nombre de poètes-slammeurs, et plus exactement de poétesses-slammeuses, cultivent aujourd’hui des rimes qui arrachent la gorge, fouettent les sens et font craquer les jointures de la bien-pensance. Souple comme une gymnaste roumaine, la poésie sert de réceptacle à de nouveaux combats. Ce qu’elle a perdu en lyrisme et en romantisme larmoyant, elle le gagne en vérité et en force de frappe. Féministes, antiracistes, Lisette Lombé, Marie Darah, Joy Slam, pour n’en citer que trois de chez nous, triturent les mots de tous les jours, les écossent et les reconditionnent pour interpeller le monde, panser les plaies, crier à l’injustice ou briser les chaînes. « Te faire douter. Te faire avoir peur. Te faire avoir honte de ta couleur. Qui oubliera? Qu’à un noir on disait tu…« , questionne la première dans son dernier recueil, l’incandescent Brûler, brûler, brûler (L’Iconoclaste).

Éric Chauvier avait imaginé il y a trois ans un Baudelaire revenu d’entre les morts sous les traits nauséabonds d’un zombie en guenilles arpentant le bitume d’un Paris ubérisé et inégalitaire peuplé de hipsters et d’instagrammeurs (Le Revenant, Allia). Derrière la mise en abîme jouissive du poète maudit, héraut des parias et des damnés de la terre, l’écrivain célébrait la modernité des écrits de celui qui faisait feu de tout bois. De préférence rance et moisi comme les bons sentiments et l’autosatisfaction. Dévaler le torrent tumultueux de ses Fleurs du mal demeure une expérience peu commune, secouante, comme un voyage étrange et extatique dans un pays à la laideur attirante et la beauté repoussante. « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle / Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis, / Et que de l’horizon embrassant tout le cercle / Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ». Un extrait de Spleen qui résume assez bien l’état d’esprit d’une bonne partie de la population, non?

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