Joseph Knox, la nouvelle voix du polar anglais

Pour Joseph Knox "l'écriture ne connaît aucune limite". Et ça tombe bien! © Jay Brooks
Philippe Manche Journaliste

Avec Somnambule, la nouvelle voix du polar made in UK Joseph Knox boucle brillamment sa trilogie Aidan Waits qui voit le jeune inspecteur de la police de Manchester affronter ses pires démons le temps d’un effroyable voyage au bout de l’enfer. Entretien.

Blague à part, si Joseph Knox ne s’était pas retrouvé dans la peau d’une vieille chaussette toute pourrie suite à un chagrin amoureux adolescent, il y a peu de chances d’avoir face à nous l’un des auteurs de romans noirs les plus brillants de sa génération. Petite précision, le citoyen britannique a 34 ans à peine et vient de livrer au rythme d’un livre par an – Sirènes (2018), Chambre 413 (2019) et Somnambule (2020)- une trilogie formidable dans la plus pure tradition hard boiled, soit « dur à cuir », genre inauguré par ses prestigieux aînés Dashiell Hammett et Raymond Chandler.

Le jeune Joseph n’a même pas seize ans lorsque son coeur se brise en mille morceaux. Il vit à Stoke-on-Trent, à une petite heure de la Big City, Manchester, dans un environnement typique du Nord de l’Angleterre à savoir la working class. Fils unique d’une mère infirmière d’origine irlandaise et d’un père qui travaille toujours dans la même usine que lorsqu’il était jeune adulte, Knox Junior, complètement désespéré, tape quelques mots-clés sur Internet histoire de panser ses plaies. « J’ai bêtement écrit quelque chose du genre « Que faire lorsque vous avez un chagrin d’amour? » et l’une des réponses suggérait de regarder Casablanca », confesse un Joseph à la coule en interview Zoom depuis son domicile londonien. « Du jour au lendemain, Humphrey Bogart est devenu l’enfoiré le plus cool de la planète. J’ai maté The Big Sleep, In a Lonely Place, The Maltese Falcon et quand j’ai réalisé que The Big Sleep était un bouquin de Chandler, je suis devenu complètement monomaniaque à son sujet. Donc oui, il y a du Philip Marlowe dans Aidan Waits. »

Plus sale, plus trash, plus destroy

Parlons-en d’Aidan Waits, le dur à cuire de Joseph Knox. Jeune flic de la police de la ville des Smiths et de Joy Division qui fait très fort lors de ses premiers pas d’inspecteur en dérobant dans Sirènes un bon paquet de dope dans le local des pièces à conviction. Aidan -pour Aidan Moffat la moitié du duo écossais Arab Strap- Waits -pour le bluesman à la voix rocailleuse-, c’est un peu un personnage d’un film des frères Coen mais en beaucoup plus trash, plus sale, plus destroy. Si vous dites à Aidan de tourner à droite, il va forcément aller à gauche. Si vous lui suggérez de ne pas casser les pieds à un ponte du crime local, il va illico les lui briser menu. Et si, d’aventure, vous lui déconseillez de tomber in love d’une amazone, il va fort logiquement jouer les Roméo.

Joseph Knox, la nouvelle voix du polar anglais

« J’ai bien conscience de m’inscrire dans une tradition anglo-saxonne avec un personnage principal sur le fil. À l’époque où j’écrivais Sirènes, pendant mes heures de pause et le soir chez moi, j’ai remarqué que beaucoup d’écrivains -et je ne parle pas de Ian Rankin, Lee Child ni même de Alan Parks- remplissaient les pages à défaut d’originalité. » Lu comme ça, les propos peuvent respirer la prétention. Et pourtant, si Knox fait la différence, c’est dans la construction psychologique d’Aidan Waits qui évolue au fil des trois romans parsemés d’humour à froid et d’atmosphères poisseuses. Chambre 413, par exemple, débute par la découverte d’un cadavre impossible à identifier. L’enjeu de Somnambule, c’est un criminel accusé d’un meurtre d’une famille qui n’a aucun souvenir de son méfait. Joseph Knox va donc tisser en parallèle de son intrigue criminelle, la quête identitaire de son héros. Chambre 413 est donc aussi un roman sur l’identité et Somnambule -le plus costaud des trois- un polar sur la mémoire et toutes les métaphores propres au somnambulisme.

Liberté ultime

« Ce que j’aime au cinéma, c’est l’atmosphère, l’humeur, le style et j’y suis très sensible en écrivant. Vous avez beau avoir la meilleure histoire possible, ça ne fonctionnera pas sans une certaine atmosphère. Je n’étais pas spécialement fan de hip-hop mais aujourd’hui, j’adore cela. En matière d’atmosphère, d’humour noir, autant dans la scène anglaise que chez Run The Jewels, il y a de quoi faire et c’est sans doute une influence. Là, je me mets au jazz. Je cherche toujours une nouvelle source d’inspiration, c’est l’histoire de ma vie et c’est aussi pour cette raison que cette trilogie se termine avec Somnambule. J’aspire à d’autres choses. Mon prochain roman True Crime Story est complètement dingue et ambitieux. L’un des personnages s’appelle Joseph Knox. Il a une histoire d’amour avec une autrice qui écrit True Crime Story. Il y a des échanges de courriels, des pages d’entretiens avec des témoins du crime, des articles de presse… Je n’ai pas envie d’être enfermé comme Ian Rankin -que je considère comme l’un des plus grands auteurs de crime fiction – obligé d’écrire une énième aventure de John Rebus pour satisfaire ses fans. C’est ce qu’a évité James Ellroy, mon Maître, mon Dieu -Big James!-, qui met ses propres traumas au service du récit et qui aurait très bien pu continuer à enquiller sa série Lloyd Hopkins… »

« Vous savez, glisse Joseph Knox avant de prendre congé, la grande leçon de tout ceci -leçon que j’avais probablement besoin d’assimiler-, c’est que l’écriture ne connaît aucune limite. Elle vous emmène n’importe où. C’est la liberté ultime et ça tombe bien parce que sincèrement, je ne pense pas que je serai capable de faire autre chose. »

Somnambule, de Joseph Knox, éditions du Masque, traduit de l’anglais par Jean Esch, 400 pages. ****

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