John le Carré, un Retour de service gagnant: Bons baisers de Londres

John le Carré. © belgaimage
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

John le Carré régale avec un roman d’espionnage post-Brexit de haute volée doublé d’un réquisitoire contre un monde sans foi ni loi.

Le Brexit reste en travers de la gorge des écrivains britanniques europhiles. Comme un furoncle qu’ils ont décidé de percer avec la pointe de leur stylo. Après Jonathan Coe (Le Coeur de l’Angle- terre, Gallimard, 2018) et en même temps que Ian McEwan, qui a choisi la satire – dans la grande tradition de Jonathan Swift – pour vilipender cette décision « masochiste » (Le Cafard, Gallimard, 2020), c’est le vénérable John le Carré qui règle ses comptes avec les « bras cassés » qui ont entraîné son pays sur le chemin hasardeux de la sortie dans le très politique Retour de service.

Fidèle à la recette qui fait son succès depuis en 1964 et son redoutable Espion qui venait du froid, le vieux renard littéraire y prend le pouls de notre époque à travers le prisme haletant de l’espionnage. On pensait que les agents secrets avaient été mis au rebut avec la fin de la guerre froide. Mais les contorsions de la géopolitique contemporaine et l’essoufflement de la démocratie libérale ont obligé les hommes et femmes de l’ombre à reprendre du service. Derrière les sourires de façade des dirigeants, les « agences » nationales se livrent une guerre sans merci comme à la belle époque, chacun tentant d’en savoir plus sur les véritables intentions des uns et des autres.

Retour de service, par John le Carré, éd. du Seuil, traduit de l'anglais par Isabelle Perrin, 304 p.
Retour de service, par John le Carré, éd. du Seuil, traduit de l’anglais par Isabelle Perrin, 304 p.

Sans trop dévoiler la couronne, on peut résumer l’intrigue du roman comme suit: Nat, officier du renseignement au service de sa Majesté, s’apprête à poser ses valises au bercail après 25 années comme officier traitant dans les pays de l’Est. On lui propose, à prendre ou à laisser, de piloter le Refuge, un bureau londonien de seconde zone chargé de gérer les transfuges pas très productifs. Un placard même pas doré pour celui dont les supérieurs louent l’efficacité mais qui paie sa relative indépendance et une éthique qui entre parfois en collision avec le réalisme des gratte-papiers. Un agent de l’ancien monde en somme. Au moins Nat pourra passer plus de temps avec sa femme, avocate et activiste de gauche, et recoller les morceaux d’une relation anémique avec sa rebelle de fille. Sauf que la rencontre avec un jeune freluquet idéaliste qui le défie au badminton, sport dans lequel il excelle, et d’une brillante recrue bien décidée à faire le ménage, va le propulser au coeur d’une machination à tiroirs impliquant plusieurs services secrets étrangers, précipitant du même coup sa chute mais lui ouvrant définitivement les yeux sur la « débâcle » de son pays.

La vérité en face

Ce ne serait qu’un délicieux jeu de massacre vintage, avec son lot de filatures, de complots, de fausses pistes et de rebondissements, à déguster au coin du feu en sirotant une tisane, si le lucide octogénaire n’ajoutait à cette trame romanesque une décapante critique du système qui a conduit le gouvernement à sacrifier le rêve euro- péen au bénéfice d’une alliance économique et méphistophélique avec l’instable et dangereux Donald Trump, « le nettoyeur des chiottes de Poutine », comme le qualifie un ex-agent double russe.

Avec cet humour typiquement british qui tapisse le désespoir de tweed, le Carré vole dans les plumes de cette Angleterre néolibérale qui a vendu son âme et ses plus beaux morceaux aux plus offrants. S’il y a de la nostalgie dans cette dénonciation du cynisme et de la stupidité des élites, il y a aussi beaucoup d’espoir dans l’énergie et la colère d’une nouvelle génération lassée des manigances et des fausses promesses. Précis, incisif et tranchant, c’est ce qu’on appelle un Retour de service gagnant.

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