Hitler en bio-BD: Führer de rire?

© Bernard Swysen et Ptiluc/Dupuis
Rosanne Mathot
Rosanne Mathot Journaliste

Peut-on rire de Hitler? Oui! répond franchement la dernière BD des éditions Dupuis, La véritable histoire vraie de Hitler, co-signée Ptiluc et Bernard Swijsen. L’humour y redevient ce qu’il doit être: secousse et choc de pensée. Aux manettes de cet album encyclopédique aussi atypique que malheureusement inégal: un misanthrope nihiliste et un historien belge, qui nous enjoignent à « ne pas oublier », car – hurlent les auteurs en choeur – la vermine populiste ne sera pas rassasiée. Jamais.

Faut pas l’énerver, Wolfi. A travers la centaine de pages du pimenté album-biographie-encyclopédie dont Adolf Hitler est l’anti-héros, La véritable histoire vraie de Hitler – cosigné Ptiluc et Bernard Swijsen – le Führer (déjanté, détraqué, dingue, mais aussi étrangement amusant et même attachant, par moments), n’a de cesse de le répéter: « Faut pas m’énerver! » Reste que cette approche atypique du Führer pourrait faire passer Hitler l’ignoble pour un rigolo, un crevard certes, mais un crevard marrant, touchant, qui met le pouvoir dans sa poche, à la faveur d’une population épuisée et à genoux.

Représenté sous les traits d’un rat caractériel (l’animal fétiche du dessinateur Ptiluc, né à Mons et naturalisé Français) cet Hitler nous apparaît d’abord comme un gosse futé, solitaire, frustré, en discordance permanente avec les autres, un gamin chagrin et rêveur, rossé cruellement par un père âgé et dur comme un coup de trique. Cette BD, finalement, c’est cette espèce d’effet papillon déjà mis en mots par Éric-Emmanuel Schmitt, dans son La Part de l’autre: mieux aimé par son dabe, et pas recalé sans arrêt, par l’Académie des Beaux-Arts, Hitler aurait très probablement pu devenir un tranquille artiste-peintre; il ne serait jamais devenu le monstre narcissique et sanguinaire que l’on sait. À quoi ça tient, quand même, le destin d’un homme, le destin d’un monde! Faut l’admettre: le jeune Adolf expérimente un quotidien capable de disloquer l’équilibre mental de n’importe qui. Mais, attention, il n’est pas question pour les auteurs, de dédouaner ici Hitler à la faveur de son enfance compliquée et de ses possibles (probables) troubles psychiatriques (psychose et paranoïa, hélas peu explorés dans la BD): Hitler est un salaud. Pas de doute, là-dessus.

« On vit un sacré bordel, actuellement »

C’est peut-être ça, le talent des auteurs: nous tendre à tous un miroir froid et sans concessions. En démarrant le récit de la vie d’un tyran caractériel par son enfance, on rend compte du fait que le mal sommeille, potentiellement, en chacun de nous. « Représenter l’enfance de Hitler a, paraît-il, toujours posé problème à ceux qui voulaient qu’il incarne le mal absolu, parce que pour eux, le mal absolu ne peut pas être relié à l’enfance!« , commente Ptiluc. « Pour moi – qui reste quand même un profond misanthrope nihiliste – le mal absolu sommeille dans tous les individus, depuis l’enfance. Heureusement, tous n’ont pas le même parcours, sinon ce serait un sacré bordel, du genre pire que ce qu’on vit actuellement! » Crise sociale, convulsions incandescentes des politiques, montée du populisme et de l’antisémitisme, jeux de vilains avec la presse, propagande et manipulation: pas de doute, pour les auteurs de la « vraie histoire vraie de Hitler », notre époque évoque, bel et bien, celle des années 1930.

« Salomon, vous êtes Juif?! »

Si les premières planches semblent un peu hésitantes, le coup de crayon de Ptiluc s’affirme au gré du récit. Ainsi, la sublime double page évoquant la suffocation atroce de la Shoah, tout en teintes de gris, évoquent l’univers sombre de Tardi; la planche faisant état du bombardement de Berlin (un flamboyant camaïeu de rouges) ramène l’histoire de ce petit caporal autrichien à sa place, celle de l’horreur qui survient si l’on n’est pas attentif à l’actualité. Et, pour nous permettre de supporter l’innommable, Ptiluc nous régale de clins d’oeil à la culture populaire (Tintin, Donald Duck, Rabbi Jacob…) Ainsi, alors que le jeune Hitler est au front, il se voit voler son chien par Tintin, alors que, bien des années plus tard, Einsenhower devient le canard sans futal cher à Disney, Donald Duck.

Un scénario compliqué et entortillé

Bémols: le lecteur se retrouve parfois noyé sous les infos, et ce, dès la première page, où l’on nous parle du village du père de Hitler, Döllersheim, qui sera évacué par la Wehrmacht en 1938, alors que l’action de cette 1re page se déroule à la fin du XIXe et qu’il n’est jamais plus fait mention dudit village dans la BD et que – à ce moment-là de l’histoire – peu de lecteurs doivent vraiment avoir compris que Döllersheim est le village du père officiel d’Adolf, né « Aloïs Schicklgruber »… On ne peut que regretter l’absence d’une bibliographie précise, à l’issue de cet album qui se veut tout de même « LA véritable histoire vraie de Hitler ». Manque aussi le listing précis des dates et des noms apparaissant dans l’histoire (pour aider les plus jeunes lecteurs à comprendre ce récit touffu). Par ailleurs, on grimace devant l’imprécision de certaines scènes (on ne nous donne pas la date de naissance de Adolf Hitler, alors qu’on nous communique, par ailleurs, une foule d’informations). Les premières planches relatent – sans vraiment l’expliquer – le pataquès inextricable de l’arbre généalogique de Hitler (casse-tête infernal des historiens): le « Führer » aurait très bien pu s’appeler « Schicklgruber », « Hiedler », « Heidler » ou « Hitller ». D’autres scories (l’apparition, puis la disparition mystérieuse – pendant 29 pages – du personnage « fil-rouge » de la BD, un ours juif-allemand et son élève, Salomon) gênent la lecture. Malgré tout, une chose est établie: en nous mettant en garde (n’oubliez pas!), les auteurs flanquent autant le feu au présent, qu’ils ne déclarent leur flamme à l’obligation du souvenir.

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