Laurent Raphaël

Édito: Le syndrome des syndromes

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Il pullule comme des sauterelles un jour de plaie en Egypte. Qu’on l’appelle Stockholm, Peter Pan ou Stendhal, le syndrome bruisse dans la sphère médiatique ces temps-ci. On le sert à tout bout de champ, autant pour s’éviter l’énumération fastidieuse des symptômes qu’il est censé désigner que pour sa sonorité tonique.

D’origine médicale, le mot en lui-même charrie une image de sérieux qu’adoucit la poésie du terme -souvent un nom propre d’ailleurs- qui lui est accolé quand il s’aventure sur le terrain social. Une combinaison chaud-froid qui rassure la raison et fouette l’imagination.

Mais cette petite musique agréable à l’oreille, même quand elle désigne des choses douloureuses, n’est bien sûr pas la seule raison de son succès. A l’heure de la grande braderie idéologique, le syndrome est le nouvel outil sociologique passe-partout servant à désigner des groupes plus ou moins homogènes à un moment bien déterminé. Il tend à remplacer ainsi les concepts plus rigides et contraignants de la boîte à concepts classique qui enfermaient les individus dans des petites cases -ouvrier, employé, etc.- une fois pour toute. Comme plus rien ne dure, ni les idéaux, ni les comportements, ni les statuts, on préfère ces étiquettes souples faciles à détacher et à remplacer.

Qu’on l’appelle Stockholm, Peter Pan ou Stendhal, le syndrome bruisse dans la sphu0026#xE8;re mu0026#xE9;diatique ces temps-ci.

Il n’est donc pas étonnant de voir l’inventaire des syndromes s’enrichir de jour en jour. Quand deux enseignants suédois intitulent leur nouvel essai sur la dictature du corps Le Syndrome du bien-être (éditions L’échappée), ils étoffent l’arsenal lexical et donnent une nouvelle carte à jouer aux médias et aux acteurs sociaux en général qui pourront la ressortir quand le sujet reviendra sur la table. En l’occurrence pour désigner cette tocade contemporaine à prendre soin de son corps et de sa santé, qui ne serait selon les auteurs qu’un nouvel impératif moral dicté par le néolibéralisme et habilement déguisé en loisir récréatif.

Les syndromes qui émergent reflètent d’ailleurs les maux ou obsessions de l’époque. Si on parle souvent du syndrome de Stockholm (utilisé traditionnellement dans le cas d’otages qui manifestent de l’empathie à l’égard de leurs ravisseurs), c’est parce que les situations asymétriques, au sens propre ou figuré -quand un groupe cède à la pression de la hiérarchie dans un conflit social par exemple-, se sont multipliées. De même figure en bonne place dans le hit-parade le syndrome de l’imposteur, qui frappe tous ceux qui sont persuadés de ne pas avoir la carrure pour le job qu’ils occupent, et vivent dans l’angoisse permanente d’être démasqués. Là encore, la course à la rentabilité favorise cet état d’esprit culpabilisant, l’employé ou le cadre étant condamné à se surpasser pour atteindre ses objectifs.

Qu’on ne s’y trompe pas, on utilise parfois les mots « effet » ou « point » (le fameux point Godwin notamment) pour désigner les différentes petites manies qui nous rongent individuellement ou collectivement. Mais la distinction n’est que cosmétique. Ainsi de l’effet Dunning-Kruger, qui est le contraire du syndrome de l’imposture puisqu’il s’applique à ceux qui sont persuadés d’être plus compétents qu’ils ne le sont vraiment. Un travers en vogue, qui affleure particulièrement quand la nécessité bientôt illimitée de se montrer partout, tout le temps sous son plus beau jour -exhibition virtuelle oblige- entre en tension avec les capacités humaines -quant à elles limitées.

Si les syndromes en disent long sur les rouages du système, il faut se méfier de leur emballage avenant. En réduisant les individus à quelques tics ou généralités, ces marqueurs enferment plus qu’ils ne libèrent. Une fois pris dans leurs filets, difficile de leur échapper. Ils agissent comme une sorte de déterminisme. Ainsi de Michael Jackson et du syndrome de Peter Pan…

Cette réserve mise à part, chacun peut s’improviser fournisseur de syndromes. Le syndrome de Bruxelles pourrait ainsi désigner une ville frappée au coeur et au portefeuille, et qui peine à retrouver le sourire. Une sorte de dépression chronique à l’échelle d’une métropole. A ne pas confondre avec le syndrome de Münchhausen, quand on simule une maladie pour attirer l’attention et la compassion…

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