Douglas Kennedy, écrivain volontaire

Douglas Kennedy © Ulf Andersen
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Radioscopie d’un mariage en bout de course, Cinq jours interroge notre capacité de se réinventer. Le roman le plus personnel de Douglas Kennedy, écrivain en mouvement.

Quand on le rencontre fin juin pour discuter de son nouveau roman, Cinq jours, portrait à fleur de sentiments d’une femme engluée dans son couple qui va se réveiller à la faveur d’une rencontre électrique, Douglas Kennedy a mauvaise mine. L’écrivain américain lutte contre un méchant virus. Pas de quoi pourtant ralentir le tempo de ce stakhanoviste qui enchaîne les interviews avec une égale affabilité ponctuée de rires tonitruants. Entre deux séances de questions-réponses, il trouve même le temps d’alimenter le gazouillis de la twittosphère et de balancer sa pensée du jour sur son compte Facebook (27.575 fans) –« J’y consacre 20 minutes quotidiennement, aujourd’hui je parle du pouvoir après avoir entendu dans le train ce matin un homme d’affaires anglais terroriser au téléphone un collègue qui avait apparemment fait de mauvais chiffres. »

Il est comme ça, Douglas. Toujours en alerte, homme-orchestre d’une image, la sienne, devenue depuis le succès planétaire de L’homme qui voulait vivre sa vie en 1998 une marque internationale dont il met un point d’honneur à être l’ambassadeur, ne refusant jamais de signer un autographe ou de poser devant un objectif. « Je savoure ma position, confie-t-il. J’aime pouvoir vivre à cinq endroits différents et je serai toujours reconnaissant envers le public de me donner cette liberté d’aller et venir. » Encore faut-il pouvoir garder la tête froide pour ne pas se brûler les ailes au soleil de la célébrité. De ce côté-là, il est immunisé. Pour avoir connu une reconnaissance sur le tard, à 41 ans seulement, puis avalé encore quelques couleuvres, en particulier aux Etats-Unis où il n’a plus eu d’éditeur pendant huit ans, ce narrateur hors pair sait mieux que personne que rien n’est plus volatile que le succès. Il en profite donc doublement tant que la chance lui sourit.

On a eu l’occasion de pratiquer Douglas Kennedy dans un contexte moins formel. Difficile de ne pas être impressionné par l’énergie dévorante, un peu effrayante même, qui l’anime du matin au soir (il dort peu), comme si la moindre baisse de régime risquait de gripper la machine. Il croque du coup la vie à pleines dents, et singulièrement ses fruits culturels les plus juteux. Qu’il fasse escale à Bruxelles, à Paris, à Berlin, à Londres (où vivent ses enfants), à New York, vous ne le trouverez pas dans les cocktails mondains mais dans les cinémas d’art et essai, dans les musées ou dans les maisons d’opéra, son péché mignon. Ce globe-trotter se sent partout chez lui. Suffisamment en tout cas pour envisager d’y poser ses valises quelque temps.

On n’est ainsi pas prêt d’oublier cette soirée qu’il avait à l’avance programmée où, après un bon repas, on avait filé à la Cinematek voir Le fantôme de l’opéra de Rupert Julian, un muet de 1925, avant d’enchaîner avec un concert de jazz au Sounds à Ixelles. Un rythme survolté pour un appétit gargantuesque de savoir et d’expériences. Il ne se contente d’ailleurs pas d’écouter la musique, il suce chaque note, chaque accord jusqu’à la moelle, les sinuosités harmoniques se glissant dans son corps jusqu’à déclencher une forme de transe. Il faut dire que le maelström des émotions qui pavent son quotidien est la matière première de ses livres. « J’ai une mémoire immense et je suis comme une éponge. J’observe, j’absorbe tout ce qui passe. J’ai l’oeil pour les détails psychologiques. » Une empathie naturelle qui lui permet de se glisser sans effort, et pour la sixième fois, dans la peau d’une femme.

Arythmique littéraire

Quand écrit-il alors? Partout, tout le temps. Dans l’avion, dans le métro… Au prix d’une discipline quasi militaire inspirée de Graham Greene, son mentor, et très éloignée de la vision romantique du métier qui voudrait que l’inspiration frappe à la porte quand bon lui semble. « J’écris deux pages par jour de manuscrit, soit 500 mots. En six semaines, ça fait 3000 mots. Après 50 semaines, j’ai un premier jet, que je vais ensuite abondamment retravailler. » Derrière les chiffres un peu froids, il y a pourtant beaucoup d’affects chez cet auteur qui excelle à faire sauter le verrou des prisons affectives dans lesquelles nous nous enfermons nous-mêmes. Peut-être plus encore que d’ordinaire dans ce dernier roman puisque, de l’aveu même de Douglas Kennedy, c’est le plus autobiographique. A défaut d’être le meilleur.

Laura, le personnage principal, croupit dans une relation qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été. Un scénario qu’a bien connu l’auteur de Rien ne va plus, jusqu’à ce qu’il décide de prendre le large au bout de 25 ans de vie commune. « On construit sa vie. On se marie, on fait des enfants, et puis un jour on se dit: « Ô mon dieu, je suis coincé ici avec une montagne de responsabilités et je ne suis plus du tout sûr d’avoir fait les bons choix. »«  C’est là que ça se corse. Beaucoup restent au risque de voir le mépris s’installer, d’autres s’arrachent à la pesanteur du destin. Le hasard -pour Laura, une rencontre avec un homme dans la même situation- venant parfois donner un petit coup de pouce…

« Divorcer a été la décision la plus difficile de ma vie. On peut rêver de changer le cours des choses mais passer à l’acte ne va pas de soi. C’est en ressentant un immense soulagement trois ans après ma séparation que j’ai décidé d’écrire cette histoire qui fait écho à mes interrogations: pourquoi on reste, pourquoi on part. Ce fut comme une thérapie, une manière de tourner définitivement la page. » Chez Douglas Kennedy, l’homme n’est jamais loin de l’écrivain.

Cinq jours

Douglas Kennedy, écrivain volontaire

Laura, 42 ans, mariée, deux grands enfants, vit et travaille dans le Maine. Signe particulier: elle s’ennuie. Son mari s’enfonce dans la dépression depuis qu’il a perdu son boulot, son fils, seul allié au sein du clan, vient de quitter le nid, et sa fille devrait bientôt faire pareil. Elle étouffe dans cette vie rangée, loin de tout, elle qui rêvait plus jeune de bohème, de passion et de destinée littéraire. Lors d’un séjour à Boston où elle doit assister à un séminaire de radiologie, tout va pourtant basculer. Laura rencontre Richard, aussi malheureux et bridé dans son couple qu’elle. Entre eux, c’est le coup de foudre, alimenté par une passion commune pour la culture. Très vite, trop vite pour être totalement crédible, l’idée germe dans leurs têtes d’envoyer tout balader pour repartir à zéro. C’était sans compter un revers de dernière minute… Douglas Kennedy signe un roman sentimental brassant des questions morales délicates sur le bonheur, sur la famille, sur le changement. Dommage que le propos s’enlise dans une sensiblerie qui confine au mélo. Si son aisance narrative et son art de disséquer les tourments sauvent les meubles, il manque ce mauvais esprit et cet art du suspense qui font le sel de ses meilleurs romans.

DE DOUGLAS KENNEDY, ÉDITIONS BELFOND, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ETATS-UNIS) PAR BERNARD COHEN, 370 PAGES.

  • LIRE AUSSI L’INTERVIEW DE DOUGLAS KENNEDY DANS LE VIF DE CETTE SEMAINE.

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