Deux lauréates, deux femmes, pour le Booker Prize: Margaret Atwood et Bernardine Evaristo
Le Booker Prize, prestigieux prix littéraire britannique, a été attribué lundi soir aux écrivaines canadienne Margaret Atwood et anglo-nigériane Bernardine Evaristo, respectivement pour Les Testaments et Girl, Woman, Other, consacrées meilleures oeuvres de fiction en anglais de l’année.
Déjà couronnée il y a 19 ans, la romancière et poétesse canadienne Margaret Atwood est cette fois récompensée pour Les Testaments (The Testaments), la suite très attendue de La Servante écarlate (The Handmaid’s Tale), dystopie misogyne terrifiante qui s’est érigée en véritable manifeste féministe à l’ère du mouvement #MeToo. Le livre La Servante écarlate, publié en 1985, est devenu en 2017 une série TV à succès qui a relancé les ventes du roman, dont l’édition anglaise a atteint huit millions d’exemplaires dans le monde. Souvent citée pour le prix Nobel de littérature, Margaret Atwood, 79 ans, a déjà remporté le Booker Prize en 2000 pour son roman historique Le Tueur Aveugle. « Je suis très surprise, j’aurais pensé que je suis trop âgée », a réagi Margaret Atwood, qui portait un badge du mouvement écologiste Extinction Rebellion.
Le Booker Prize 2019 a aussi été attribué à l’Anglo-Nigériane Bernardine Evaristo pour Girl, Woman, Other (non traduit en français), chronique de la vie de familles noires en Grande-Bretagne. « Je suis la première femme noire à remporter ce prix », a réagi Bernardine Evaristo, 60 ans, qui a jugé « incroyable » de partager le prix avec une « légende » telle que Margaret Atwood. Le roman de Bernardine Evaristo est découpé en autant de chapitres que de personnages, essentiellement des femmes noires de plusieurs milieux et générations, avec en toile de fond une interrogation permanente sur la couleur et le racisme, dans la relation à la culture, le sexe. De la Barbade au Nigeria, toutes les protagonistes se retrouvent à Londres avec un lien familial ou d’amitié ou d’estime.
C’est la troisième fois depuis sa création il y a 50 ans que le prix couronne simultanément deux livres, après 1974 et 1997. Les règles ont depuis évolué, empêchant en principe une telle configuration, mais selon le président du jury Peter Florence, « la situation exigeait de choisir ces deux livres ».
Quatre femmes en finale
Lancé en 1969, le Booker Prize récompense chaque année l’auteur du « meilleur roman écrit en anglais et publié au Royaume-Uni » de 50.000 livres (environ 57.200 euros) que se partageront les deux lauréates. Les deux écrivaines se sont dites ravies de partager le prix. Bernardine Evaristo a expliqué que cette récompense servirait à rembourser son emprunt, Margaret Atwood indiquant quant à elle qu’elle le reverserait à une oeuvre de charité.
https://twitter.com/TheBookerPrizes/status/1183847867653525507The Booker Prizeshttps://twitter.com/TheBookerPrizes
We’re delighted to announce that the winners of The #BookerPrize2019 are @MargaretAtwood with The Testaments @ChattoBooks and @BernardineEvari with Girl, Woman, Other @HamishH1931 #FinestFiction https://t.co/SQurx2Ky4u pic.twitter.com/zfyGHQIYaX
— The Booker Prizes (@TheBookerPrizes) October 14, 2019
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L’année dernière, l’écrivaine Anna Burns avait été la première nord-irlandaise à remporter le prix, pour son roman Milkman.
Parmi les six finalistes sélectionnés cette année figuraient quatre femmes. L’Américaine Lucy Ellmann était sélectionnée pour Ducks, Newburyport, un roman fleuve de 1.000 pages bâti autour du monologue d’une femme au foyer de l’Ohio, décliné en une phrase presque sans interruption. Elif Shafak, l’écrivaine la plus lue en Turquie, était en lice avec 10 Minutes 38 Seconds in This Strange World, sur les souvenirs d’une prostituée dans les bas-fonds d’Istanbul. Lauréat du prestigieux prix lui aussi, en 1981 pour Les Enfants de minuit, Salman Rushdie, 72 ans, était sélectionné pour Quichotte, version moderne de l’épopée picaresque du héros de Cervantès transposée en Amérique. Enfin, le Nigérian Chigozie Obioma concourait avec L’Orchestre des minorités (An Orchestra of Minorities), consacré à un éleveur de poulets dans une petite ville du Nigeria. Il s’agit d’« un conte aux proportions odysséennes qui fait battre le coeur », selon la membre du jury Afua Hirsch. L’auteur avait déjà été nominé en 2015.
Jusqu’en 2013, le Booker Prize était réservé à des ressortissants des Etats du Commonwealth, avant de s’ouvrir l’année suivante aux autres pays anglophones.
Le Booker Prize compte parmi les plus prestigieux prix littéraires du monde, et représente une promesse d’accélérateur de ventes pour les lauréats. Voici cinq choses à savoir sur cet équivalent britannique du Goncourt depuis 50 ans.
Histoire de noms
Le prix littéraire a été créé en 1969 grâce au financement du plus important grossiste alimentaire anglais, Booker. Les éditeurs britanniques, désireux de trouver un équivalent anglais au vénérable prix Goncourt, ont sollicité Jock Campbell, président de Booker et amateur de littérature, pour qu’il sponsorise le projet. Le prix a été rebaptisé « Man Booker Prize » en 2002 quand le fonds spéculatif Man Group en est devenu sponsor financier à son tour. Il a retrouvé son ancien nom en 2019 lorsqu’il est passé aux mains de la fondation caritative américaine Crankstart, fondée par des milliardaires de la Silicon Valley.
Gloire et fortune
Le prix récompense un roman écrit en anglais et publié au Royaume-Uni ou en Irlande. Le lauréat, dont le nom est dévoilé chaque année en octobre à Londres, remporte 50.000 livres (environ 57.200 euros). Chaque finaliste empoche par ailleurs 2.500 livres (environ 2.860 euros).
Ces sommes sont bien loin de celle du Prix Nobel de littérature doté de 844.000 euros, mais font partie des plus généreuses dotations parmi les récompenses littéraires, à l’image du prix Pulitzer (près de 13.600 euros) ou du National Book Award aux Etats-Unis (environ 59.000 euros). En France, le prix Goncourt n’offre que dix euros symboliques au gagnant, mais s’accompagne de la promesse de ventes record. Le lauréat du Booker, lui aussi, « est assuré d’une reconnaissance internationale et d’une forte augmentation des ventes », selon le site du prix anglais.
Comment ça marche?
Pour chaque édition, un comité de Booker compose un panel d’environ cinq jurés, le plus souvent des personnalités du monde littéraire – écrivains, critiques et éditeurs. Ils disposent de plusieurs mois pour lire les nombreux livres en lice, puis en pré-sélectionnent une dizaine. De cette sélection émergent des finalistes, puis un unique lauréat est nommé. Mais cette année, le jury a réussi à contourner la règle de l’unique lauréat, introduite après 1997, et à imposer sa décision de couronner deux livres.
Traductions récompensées
En 2016, un prix parallèle a été créé pour récompenser une fiction traduite en anglais et publiée, là aussi, au Royaume-Uni ou en Irlande. L’auteur et le traducteur du roman lauréat se partagent la dotation de 50.000 livres du prix international Booker, dévoilé chaque année en mai. L’écrivaine française Annie Ernaux a fait partie de la sélection finale en 2019 pour Les années, traduit par Alison Strayer.
Controverses
Réservé aux auteurs britanniques, irlandais, zimbabwéens, et des pays du Commonwealth, le Booker Prize s’est ouvert aux écrivains américains en 2014, suscitant une vive polémique au Royaume-Uni sur la vocation originelle du prix. Le double lauréat Peter Carey avait dénoncé en 2017 un prix uniquement financé par Man Group pour améliorer son image de marque. La sélection des prétendants a été critiquée comme étant arbitraire, des dissensions ont parfois agité le jury et le choix du lauréat, parfois ouvertement répudié par un juré, est sujet à controverses.
Les gagnants ne sont pas toujours enchantés non plus: dans son discours de remerciements en 1972, le lauréat John Berger a déploré l’esprit de compétition « détestable » entourant la récompense. L’écrivain engagé donna la moitié de l’argent gagné grâce à son prix au mouvement révolutionnaire afro-américain des Black Panthers pour dénoncer l’exploitation des Caraïbes par des sociétés commerciales, parmi lesquelles le sponsor financier du Booker Prize.
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