ROMAN | En tant que document, le premier roman autobiographique de Gaël Faye, la petite trentaine, constitue un objet passionnant: il y décrit en effet les prémices subtiles puis l’irruption fracassante de la guerre civile burundaise (en 1993) puis du génocide rwandais dans les souvenirs d’un petit « sang-mêlé » franco-rwandais élevé au Burundi, dans un quartier favorisé.
Tandis que lui-même se forge au fil d’anecdotiques événements une notion contrariée de ce que peut bien être la justice, des fissures progressent peu à peu, renforçant encore chez ce Petit Nicolas africain le sentiment de plus en plus marqué d’un délitement général: ses parents s’embrouillent, sa mère s’enfonce dans une angoisse qui la poussera à devenir témoin des horreurs infligées à ses compatriotes tutsis rwandais, le personnel de maison se déchire à l’occasion de disputes ethnico-politiques de moins en moins camouflées… « Cette saison de violence, écrit Gaël Faye, avait pour conséquence de faire pousser grillages, vigiles, alarmes, barrières, portiques, barbelés. Tout un attirail rassurant nous persuadait que l’on pouvait écarter la violence, la tenir à distance. »
Conclure en parlant d’un roman mettant en scène la perte de l’innocence reviendrait à balayer un peu vite un autre aspect important de ce texte: la poésie qui s’en dégage, presque systématiquement convaincante, que Faye évoque les colères sillonnant les entrailles de la Terre comme celles des hommes, ou la sombre destinée d’un cheval noir errant -apparition spectrale bientôt rattrapée par des comportements comme un vocabulaire emprunté à plus aveugle boucherie. De tels passages rachètent aisément quelques maladresses disséminées ici et là.
DE GAËL FAYE, ÉDITIONS GRASSET, 224 PAGES. ***(*)
>> Lire également: Trois questions à Gaël Faye.
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