Il y a la Première Guerre mondiale, la boucherie de 1914, puis il y a une guerre personnelle à mener, tout aussi violente. Alfa Ndiaye, tirailleur sénégalais envoyé sur le front français, et son ami Mademba servent de chair à canon, en première ligne. Mademba est touché par l’ennemi, ses souffrances sont atroces et à trois reprises, il supplie son « frère d’âme », Alfa, de l’achever. Au nom de « la voix du devoir », ce dernier refuse. Pliant sous le poids de ses refus coupables qui le hantent, Alfa sombre dans le monde de la folie, créant sa propre vengeance meurtrière jusqu’au moment où il sera rapatrié « à l’arrière ». Si la folie passagère est sollicitée en cas de guerre, la folie sanguinaire y est toxique. Cette « pause » sera l’occasion pour Alfa d’évoquer son passé africain avec poésie et une émotion tout en nuances: sa première relation sexuelle, un plaisir pur inoubliable, le départ de sa mère qu’il ne reverra plus, l’humanisme touchant de son père, homme d’honneur et enfin, l’amitié indéfectible à laquelle il a pourtant failli un moment. Basé sur la lecture de lettres de poilus français, ce court récit tente de rendre l’horreur vécue par ces tirailleurs. Dans un style aux formules récurrentes qui ponctuent les étapes de la pensée du narrateur, David Diop signe un roman original sur la métamorphose d’un homme qui se met à penser par lui-même.
Frère d’âme, de David Diop, Éditions du Seuil, 176 pages. ***(*)
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