Couche-tard, une nouvelle exclusive de Douglas Kennedy pour Focus

En écho à la Foire du Livre de Bruxelles qui s’aventure cette année dans les quartiers mal famés du polar et dans la jungle de la BD, Focus publie une nouvelle inédite de Douglas Kennedy.

Auteur d’une dizaine de livres, cet Américain fait partie de ces écrivains rares capables de ferrer le lecteur avec des histoires à rebondissements et de lui injecter en même temps le venin capiteux du trouble, du frisson et de l’émotion. Un romancier populaire mais au sens noble du terme. Dont Les désarrois de Ned Allen ou La poursuite du bonheur sont des moments de plaisir intense autant que des coups de massue sur le plancher fragile de nos vies ordinaires. A notre demande, il a écrit spécialement une nouvelle noire, un genre avec lequel il flirte constamment sans y céder tout à fait, sauf peut-être dans Piège nuptial. Un bonheur n’arrivant jamais seul, Kennedy jouera les prolongations cinématographiques lors de son passage à Bruxelles. En cheville avec Focus, ce cinéphile aiguisé investira la Cinematek le samedi 9 pour une carte blanche. Il viendra parler des deux films projetés spécialement pour l’occasion ce soir-là: Le grand chantage d’Alexander Mackendrick, son coup de coeur, et L’homme qui voulait vivre sa vie d’Eric Lartigau, adapté de son roman éponyme. (L.R.)

Couche-tard

Une nouvelle de Douglas Kennedy Traduite de l’américain par Bernard Cohen

« Tu es vraiment à la poursuite de ta dernière chance, hein? » Ça, c’était ma femme s’exprimant à l’aube ce matin. La garce. Surtout, ne jamais se marier avec quelqu’un qui est encore plus déçu par la vie que vous: la dépendance mutuelle augmente à vitesse grand V et vous vous retrouvez à vous réveiller aux côtés d’un être qui passe sa journée à s’enfoncer un peu plus dans sa négativité toxique. En particulier si elle -dans notre cas- vous considère comme la seule raison pour laquelle elle vit dans un coin paumé, élève deux enfants et rapporte au foyer un modeste mais indispensable deuxième salaire en assurant vingt heures par semaine à la bibliothèque de la petite université du Maine où j’enseigne.

C’est un établissement relativement bien coté, non dans le peloton de tête des universités du pays mais pas non plus dans la dernière ligue. La ville est l’une de ces agglomérations qui, après avoir prospéré grâce aux industries locales et avoir abrité une bourgeoisie aisée -d’où l’existence du campus-, a basculé dans la dépression d’un monde où les usines n’existent plus que dans les lointaines contrées à la main-d’oeuvre bon marché, et où les indigents et les chômeurs traînent la savate entre les vestiges décrépits de son âge d’or.

L’université elle-même est installée au sommet d’une colline, confortablement séparée par plusieurs kilomètres de cette cité à la dérive. Le campus est assez joli, dans le style modérément pseudo-gothique apprécié en Nouvelle-Angleterre. Mes étudiants ne sont pas nuls mais ils manquent en général de caractère et de passion. J’enseigne la création littéraire, ici, et je déteste ça mais je me garde de l’exprimer à voix haute parce que cela ne ferait qu’alimenter le désespoir que je tente de contenir chaque jour.

Louise, ma femme, est toutefois parfaitement au courant de mon état d’esprit. Quand nous nous sommes connus à New York (Manhattan, pas la banlieue) il y a dix ans, j’étais un romancier passant encore pour « prometteur », une notion qui peut se révéler aussi encourageante que traîtresse. Louise était chef de rubrique dans une revue féminine. Tout nous semblait possible, le monde était à nous. Et puis, alors que notre histoire entrait dans sa troisième année, mon quatrième roman a été refusé par tous les éditeurs de la ville, étant donné que les trois précédents avaient rencontré un succès critique des plus limités et avaient fait un four sur le plan commercial. Les commandes de la presse écrite, qui avaient abondé à l’époque où j’étais un romancier qui commençait à être publié, se sont taries. Louise est tombée enceinte de notre première fille. Son salaire au magazine permettait de payer le loyer, mais guère plus. « Il faut qu’on bouge », m’a-t-elle assuré; « trouver un endroit où tu puisses continuer à écrire mais où on ait quand même une vie ».

Lire la suite dans le Focus Vif N°09 de ce 1er mars 2013.

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