Critique | Livres

Chronique livre: Pierre Lemaitre – Au revoir là-haut (Prix Goncourt 2013)

Pierre Lemaitre, Goncourt 2013 avec "Au revoir là-haut". © IMAGEGLOBE/François Guillot
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ROMAN | Auteur de polars, Lemaitre change de registre avec un roman ambitieux sur les lendemains qui déchantent de la Grande Guerre. Un Goncourt époustouflant.

Chronique livre: Pierre Lemaitre - Au revoir là-haut (Prix Goncourt 2013)

Novembre 1918. Dans les tranchées du Nord, la rumeur d’un armistice imminent semble plus crédible que les ragots qui pullulent comme des poux depuis quatre ans. Du genre: « Les balles boches étaient tellement molles qu’elles s’écrasaient comme des poires blettes sur les uniformes, faisant hurler de rire les régiments français. » Il y a bien longtemps que les poilus ne rigolent plus. C’est donc avec encore moins d’enthousiasme que d’ordinaire que la 163e DI accueille l’ordre de lancer un ultime assaut. Mourir à la guerre, c’est déjà absurde. Mais crever quelques jours avant la quille, ça frise l’indécence.

Il n’y a guère que l’ambitieux lieutenant Aulnay-Pradelle pour se réjouir. Noble désargenté, il compte bien sur ce dernier fait d’armes pour lustrer ses galons et en tirer des dividendes une fois rendu à la vie civile. Les 40 premières pages saisissantes du Goncourt 2013 se situent au coeur de cette ultime bataille. A la manière d’un Spielberg en ouverture d’Il faut sauver le soldat Ryan, Lemaitre prend le lecteur à la gorge, le traîne dans la boue, lui fait renifler l’odeur de la poudre et des cadavres, lui insémine la trouille par tous les pores. Pas de doute, l’ancien auteur de polars (Travail soigné, Cadres noirs…) sait comment s’y prendre pour maintenir le suspense à ébullition. De cette boucherie ne survivront que les trois protagonistes du roman: l’officier sanguinaire, Albert Maillard, pauvre bougre qui a bien failli être enterré vivant, et son sauveur, Edouard Péricourt, qui paiera au prix fort son héroïsme: une moitié du visage en moins et une jambe en charpie. Le destin de ces trois hommes sera désormais lié par des fils barbelés invisibles.

Le culte des morts

A la manière d’un Simenon, l’auteur excelle à raconter une histoire sinueuse à hauteur d’hommes dans une langue fluide. D’où l’étiquette de roman populaire, au meilleur sens du terme, qui lui colle à la jaquette. La reconstitution de l’époque, en partie inspirée par des événements réels comme le trafic de cercueils dans les cimetières ou la marginalisation des vétérans, est en effet un modèle du genre. Précise et vibrante. L’ombre de Dorgelès, Barbusse et même Balzac plane sur cette machine de guerre infernale. Mais on ne serait que dans la bonne copie si le dispositif n’était dans le même temps alimenté par un puissant courant alternatif. Politiquement incorrect sur toute la ligne, Au revoir là-haut égratigne les profiteurs, les fossoyeurs, les puissants, les carriéristes pendant et après la guerre, et rend leur dignité aux sans-grades, à la manière jubilatoire d’un Tardi. Bref, un coup de Lemaitre!

  • DE PIERRE LEMAITRE, ÉDITIONS ALBIN MICHEL, 576 PAGES.

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