Critique | Livres

Mon ami Dahmer

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ROMAN GRAPHIQUE | Jeffrey Dahmer. Ce nom vous dit sans doute vaguement quelque chose. Normal, c’est celui d’un des pires tueurs en série américains, surnommé « le cannibale de Milwaukee ».

DE DERF BACKDERF, ÉDITIONS ÇÀ ET LÀ, 224 PAGES. ****

ROMAN GRAPHIQUE | La première scène donne la (dé)mesure du personnage au coeur de ce récit indélébile. Un ado longe une route de campagne déserte. Démarche raide, il avance comme un robot. Ses pas raclent le sol en cadence. Et s’immobilisent devant le cadavre d’un chat pris d’assaut par un bataillon de mouches. Il le ramasse, le regarde sans émotion et l’emmène dans sa « hutte » où, sous les yeux effarés de trois potes rencontrés en chemin, il va plonger la bestiole dans un bocal rempli d’acide qui rejoindra sa collection de petits rongeurs en décomposition… Pas de doute, ça ne tourne pas rond dans la tête de Jeffrey Dahmer. Ce nom vous dit sans doute vaguement quelque chose. Normal, c’est celui d’un des pires tueurs en série américains, surnommé « le cannibale de Milwaukee », arrêté en 1991 et condamné à… 957 années de prison pour la bagatelle de 17 meurtres. En 1994, un codétenu le renverra en enfer plus tôt que prévu. Un sujet en or pour tout romancier. Mais surtout un sujet personnel pour l’auteur de BD indépendante Derf Backderf qui a fait ses secondaires dans la classe du boucher. C’était même un copain. Dont la bizarrerie amusait parfois, effrayait souvent les jeunes qui le fréquentaient à l’époque. Puisant dans sa mémoire et dans une montagne de documents, Backderf restitue ici méticuleusement la genèse du futur meurtrier. Un voyage dans l’antichambre des ténèbres éclairé à la bougie de la lucidité dont la flamme vibre d’un trait noir et blanc précis et hautement expressif, quelque part entre Crumb et Pekar. De ses penchants morbides à son alcoolisme en passant par son homosexualité refoulée, on voit Dahmer se noyer irrésistiblement dans le lac de la folie. Car avant de faire des victimes, il en est d’abord une lui-même, du manque d’amour de parents borderline, de ces adultes qui ne l’ont pas repêché quand il en était encore temps et, dans une moindre mesure, de ces ados qui l’ont abandonné à ses démons. Un grand livre aussi flippant que poignant sur l’âme humaine.

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