Critique | Livres

Lorna

SÉRIE B | Si vous êtes allergique aux nanars, aux histoires d’extraterrestres et à la pornographie vintage, passez votre chemin. Dans son dernier album, le Français Brüno rend hommage à l’arbre du cinéma bis à l’ombre duquel il a grandi.

LORNA, DE BRÜNO, ÉDITIONS TREIZE ETRANGE. ***

Revisitant à la manière d’un Tarantino aussi bien Larry Cohen (Le monstre est vivant) que Russ Meyer, le pape de la sexploitation, il extrait du fruit de la sous-culture un jus d’orange -la seule couleur de sa palette graphique- riche en… pulp. On le savait fasciné par cette Amérique seventies dont il ne manquait pas une occasion de replanter le décor, en particulier dans sa série polardeuse Inner City Blues. Mais jamais il n’avait plongé si profond dans les eaux troubles de l’underground fiévreux de l’époque. Pari risqué évidemment. L’outrance et l’autodérision saturent déjà les séries Z, et se prêtent donc mal au pastiche. L’auteur évite ce piège en cherchant moins à parodier qu’à mimer les codes du genre. Et ça fonctionne plutôt bien. Le scénario gonzo, qui voit le fils flemmard d’un magnat de l’industrie pharmaceutique, amoureux d’une star du X, se faire inoculer un virus le transformant en monstre tueur bientôt exploité par l’armée, le tout sur fond de Godzilla à la silhouette ultra sexy débarquant du cosmos, garantit sa dose de délires et de grand-guignol sanguinolent. Aucun cliché de la mythologie ne manque à l’appel. Le seul bémol de cette escapade aux frontières du bon goût se situe paradoxalement dans ce qui est d’ordinaire le point fort de Brüno: ce dessin épuré et économe si reconnaissable. Le réalisme minimaliste de son trait, qui faisait encore merveille récemment dans Atar Gull, tend naturellement à embellir son objet. Mais en stylisant à l’extrême l’univers loufoque des films fauchés, il l’assagit aussi, lui ôtant une bonne part de son acidité et de sa folie subversive. Tout est plus clean, moins borderline que dans les originaux. Même les scènes pornos tournent à l’orgie vectorielle, ce qui, il faut bien l’admettre, n’a rien de très bandant. A lire donc pour ce que Lorna est: une ode graphique teintée de nostalgie à cette tranche de contre-culture souvent imitée, rarement égalée…

Laurent Raphaël

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