BD: Le Casse du siècle

Le thème du casse est ressuscité pour la BD, dans une nouvelle série repoussant les limites du genre. Rencontre avec le cerveau de l’opération, le breton David Chauvel.

Le Casse, tome 3: « Soul Man », par David Chauvel & Denys, éditions Delcourt

Le troisième tome de la série Le Casse vient de paraître chez Delcourt parmi une collection de 6 one-shots qui repousse les limites du genre. Ce « Soul Man » au scénario bigrement bien ficelé nous plonge dans un univers carcéral pesant et malsain, baigné dans la soul de Motown et Stax.

Quel a été le déclic pour lancer une série aussi ambitieuse, impliquant autant de participants?
Quand j’ai créé la série Sept (qu’il dirige aussi chez Delcourt, NDLR), la base était de faire un projet collectif, de travailler avec les copains. En 16 ans de bande dessinée, on se crée un réseau de copains, mais finalement, on travaille rarement sur des de projets collectifs. Et j’avais vraiment envie de faire un projet entre potes. Il y a des gens comme Fred Duval et Richard Guérineau avec lesquels je voulais bosser, mais pour des raisons de planning, ça n’avait pas été possible sur cette série-là. Comme Sept avait bien fonctionné en librairie, on a cherché un nouveau thème avec Delcourt et on a fini par tomber d’accord sur le thème du casse.

Tu es en quelque sorte le cerveau là haut-dessus, comment ça se passe? Je compare souvent le travail éditorial à un travail de chef d’orchestre. Il s’agit de faire jouer chaque soliste, chacun son tour, avec la bonne partition, et il faut que le tout forme quelque chose d’harmonieux. Une fois qu’on a donné le thème, il faut réunir des duos et coordonner le tout. Vérifier que chacun ait des histoires fondamentalement différentes les unes des autres: différentes dans l’univers, le thème, mais aussi dans le déroulement scénaristique. C’est un cheminement qui est long: Le Casse, en tout, c’est 3 ans de travail!

Le rythme de parution est important pour ce genre de séries.
Oui, et ce qui est bien, c’est que les gens savent à quoi ils auront affaire. On leur dit dès le début: « il y aura 6 albums du Casse dans l’année, et ce seront des one-shots », c’est-à-dire un livre, une histoire. Je pense qu’on a tellement tiré sur la corde de la série à rallonge qu’aujourd’hui, quand le lecteur sait où il va, c’est un vrai plus.

Est-ce qu’on peut rapprocher ce genre de séries BD à tout ce qui se fait de bien en séries télé aujourd’hui?
Certainement, et de toute façon, la série télévisée de qualité qu’on fait aujourd’hui est beaucoup plus proche de l’écriture de bande dessinée que du cinéma. Les personnages récurrents, les intrigues secondaires qui se croisent, les thématiques, jusqu’à la manière de les vendre ou de les présenter, tout le monde s’inspire de tout le monde. Ce n’est pas pour rien qu’ils font des séries TV basés sur des bandes dessinées. On a beaucoup en commun avec eux, beaucoup plus qu’avec le cinéma ou avec la littérature.

Pour le Casse dont tu es l’auteur, pourquoi avoir choisi de travailler avec Denys plutôt qu’un autre?
On se connaît depuis 15 ans, et on s’était toujours dit qu’on bosserait un jour ensemble. En un coup de fil, je lui ai proposé un one-shot, il avait envie de faire autre chose, et bingo. Ces séries, c’est l’occasion de travailler avec plein de scénaristes et de dessinateurs, c’est surtout l’occasion de travailler sur des choses courtes. Les gens qui sont occupés sur des séries n’ont pas beaucoup de disponibilités, mais pour un album, ils peuvent se libérer.

Tu dois être passionné de soul pour avoir écrit un tel scénario. C’est quelque chose qui t’a bercé?
Oui, et ça m’a beaucoup servi pour caractériser un personnage. Vu la déclaration d’amour, la flamme avec laquelle il en parle, ça vient de moi, forcément. Ces détails sont constitutifs du personnage et contrebalancent son côté brute épaisse. Subitement, ça lui donne une épaisseur qu’on ne lui soupçonnait pas au départ.

C’est une forme d’exutoire, d’exprimer la violence d’une telle manière?
Non, je pense que c’est juste un plaisir de scénariste, parce que l’écriture de ce genre de choses qui s’apparente au polar, même quand on les délocalise en western ou il y a 2000 ans, c’est une écriture qui demande une mécanique de précision, et pour un scénariste, c’est intéressant, un vrai enjeu technique. Ce qui fait qu’il y a un aspect jubilatoire dans l’écriture qu’on retrouve souvent après quand on lit.

Comment crée-t-on quelque chose de cohérent avec six récits aussi décalés?
La cohérence, c’est le thème. C’est 6 histoires de casse. Après, il est évident qu’il faut qu’il y ait de la variété. Je ne l’ai pas demandé spécialement aux auteurs, c’est eux qui ont, dès leurs premières propositions, décidé de prendre la tangente. Il y en a un qui a décidé de faire un western, un qui a eu l’idée de Jésus, un autre a dit « je fais un truc la nuit sur les Sex Pistols qui ont été interdit de jouer sur la Tamise pendant le jubilée de la Reine »… Il fallait de l’originalité et en même temps que le thème donne une vraie unité à l’ensemble.

Quelles sont les influences derrière tout ça?
À part la musique, qui m’a aidé et accompagné, j’ai lu énormément de polars quand j’étais plus jeune. C’est d’ailleurs en BD ce que j’ai fait pendant pas mal de temps, et Soul Man est un retour au polar. J’avais lu James Ellroy, Jim Thompson, Edward Bunker, toutes ces choses qui étaient apparues en France avec les éditions Rivages/Noir. Il y a eu Reservoir Dogs, qui avait été une vraie claque à l’époque. Après, j’ai complètement lâché le cinéma de Tarantino qui ne m’a pas plu, à part Jackie Brown. Et puis les films de casse, Du rififi chez les hommes, Les égouts du paradis, Ocean’s Eleven… Du rififi chez les hommes, c’est ce casse muet, pendant lequel il n’y a pas un bruit pendant 20 minutes. Une scène de tension incroyable. Par rapport à toutes ces références-là, les gens qui ont travaillé sur Le Casse ont essayé de prendre la tangente, et surtout se dire « on ne va pas marcher dans les traces du cinéma, parce que ça ne sert à rien ».

Il y a de plus en plus de séries de ce type en BD (Le Décalogue, Pandora Box, Quintett…), est-ce une façon de la renouveler?
Le premier à avoir fait ça, c’est Giroud avec Le Décalogue. Mais dans cette série-là, c’est un scénariste qui écrit et structure toute une série d’albums et s’aide de plusieurs dessinateurs. Ce qu’on a fait nous est quand même différent: il y a un thème, un jeu d’écriture avant tout, même si on fait participer beaucoup de dessinateurs. Il y a ce vrai plaisir collectif. On se demande tous ce que va écrire le copain, tout le monde se donne du mal parce qu’on n’a pas envie d’avoir l’air minable. Mais il y a un côté équipe, chacun est curieux de lire le bouquin de l’autre. C’est des choses que j’adore et que je veux continuer à faire: des séries qui arrivent rapidement, avec un nombre de bouquins limité. Pour le lecteur, je pense que c’est une bonne alternative au fait d’attendre un bouquin par an.

Kevin Dochain (stg)

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