A Marseille, un Giono hanté par la guerre, écologiste avant l’heure

FocusVif.be Rédaction en ligne

Hanté sa vie durant par le fracas de la guerre, Jean Giono trouvait un refuge dans la nature et sa Provence, sauvage et solaire. Une exposition au MuCem de Marseille retrace ombres et lumières d’un des grands écrivains français du XXe siècle.

La quasi-totalité des manuscrits de Giono (1895-1970) sont présentés pour la première fois au public à partir de mercredi (jusqu’au 17 février 2020), ainsi que des documents historiques inédits sur ses passages en prison et des lettres de certains de ses amis, comme le romancier américain Henry Miller.

Trois artistes contemporains –Jean-Jacques Lebel, Thu Van Tran et Clémentine Mélois– ont réalisé des installations faisant écho à la vie de l’auteur de Colline, Le Hussard sur le toit, Le Déserteur…

Né à Manosque (Alpes de Haute-Provence), Giono abandonne l’école à 16 ans pour aider son père cordonnier. Quatre ans plus tard, il est mobilisé pour la Première Guerre mondiale (1914-1918).

Visages grimaçant d’horreur dans la boue des tranchées, villes détruites, lourde mitrailleuse d’époque: dans un tunnel noir, une installation de Jean-Jacques Lebel, « La révolte contre l’ignoble », ouvre l’exposition, plongeant le visiteur dans l’enfer d’une guerre qui tua 10 millions de soldats.

« L’écrivain Giono est né dans les tranchées », souligne l’autrice et commissaire de l’exposition Emmanuelle Lambert. « On ne peut pas comprendre son oeuvre si l’on ne tient pas compte de son expérience de la guerre », ajoute celle qui lui a consacré un livre « Giono furioso ».

Comme ces Syriens qui à Douma convertirent des débris de roquettes en manèges dans la guerre actuelle, les soldats de 1914-1918 transformèrent des obus en objets décoratifs, tentant d’insuffler la vie dans ces engins de mort.

Giono tente lui de « s’extirper de cette noirceur par la poésie, la création et la nature », raconte Emmanuelle Lambert. « L’intelligence c’est de se retirer du mal », écrit-il.

Ecologiste avant l’heure

Installé au Paraïs, sa maison à Manosque au milieu des champs, il écrit Regain, le Chant du Monde. « Dans le style, il y a une écologie avant la lettre », souligne Jean-François Chougnier directeur du MuCem.

Avec son ami de toute une vie, Lucien Jacques, ils organisent des rencontres avec de jeunes Européens sur les hauts plateaux.

Un des mérites de l’exposition est de mettre en lumière cet homme, qui permit à Giono d’être publié par de grands éditeurs parisiens. Le musée Regards de Provence, voisin du MuCem, révèle les aquarelles de Lucien Jacques, admirées par Prévert, ses croquis saisissant de mouvement de la danseuse Isadora Duncan.

Mais la Deuxième Guerre Mondiale pointe. L’enfer de Dante, série de tableaux de Bernard Buffet montrant corps éventrés, décapités et brisés, introduit ce conflit où six millions de Juifs furent exterminés.

Giono lance un appel à la paix. Accusé d’encourager le défaitisme, il est brièvement emprisonné.

Il est de nouveau enfermé à la Libération pour avoir publié un texte de fiction –« pas un pamphlet », souligne Emmanuelle Lambert, dans le « torchon antisémite La Gerbe », et en raison d’un reportage photo sur lui dans le magazine de la Wehrmacht Signal.

L’écrivain fut défendu puis blanchi par des résistants et des juifs.

« Je déclare que je dois à Monsieur Jean Giono, une reconnaissance extrême pour le courage et l’empressement à m’aider pendant le moment où j’étais traqué à cause de mon origine raciale », écrit Jan Meyerowitz, un compositeur juif, dans une des lettre exposées.

Giono restera à Manosque jusqu’à sa mort entouré de livres, de peintures et de films.

Henry Miller, qui admirait « les effets musicaux » de ses mots lui écrit: « Quelle beauté dans la description de toutes les petites choses. Continuez, nous avons besoin de vous! ».

Aujourd’hui, la société des amis de Jean Giono compte des centaines de membres jusqu’en Chine, confie son président Jacques Meny.

Dans un texte pour l’exposition, le Nobel J.M.G Le Clezio cite Giono en 1936: « La société construite sur l’argent détruit les bêtes, détruit les hommes, détruit la joie ». Et le Clézio conclut: « Cela est toujours vrai aujourd’hui ».

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