Serge Coosemans

Où un hétérosexuel blanc de plus de 45 ans découvre le « columbusing »

Serge Coosemans Chroniqueur

À force de traîner sur le Web, on apprend de nouveaux mots et on découvre des combats auxquels on ne comprend peut-être pas grand-chose, sinon qu’ils sont éventuellement menés par des excités du bulbe. Cette semaine, Serge Coosemans nous parle du « columbusing », autrement dit de l’appropriation culturelle prétendument raciste. Justice de réseau social, nems européens, soundclashs et carambolages, c’est le Crash Test S02E22.

Cette semaine, j’ai appris un nouveau mot, « columbusing ». En 2013, dans l’argot collégien américain, c’était « l’acte de s’approprier quelque chose qui ne vous appartient pas » (Urban Dictionary). Du vol, donc, mais pas le genre de vol plus ou moins sophistiqué et anonyme où quelqu’un disparaît avec son larcin. « Columbusing » fait en effet référence à Christophe Colomb (Columbus en anglais) et implique donc une appropriation complètement pépouze, sans-gêne et aux yeux de tous de l’objet convoité. Je déguste une pizza, quelqu’un se précipite dessus comme un vautour pour en piquer une part, il la colombuse. Le terme a depuis un petit peu évolué. Depuis juin 2014 et la mise en ligne d’une vidéo du site College Humor, le sens est désormais plus racial. Cette vidéo est un sketch où un geek blanc prétend avoir « découvert » un bar afro-américain alors que celui-ci existe depuis 1935. S’engage une conversation avec un client black, qui le fréquente depuis des années, et quelques autres exemples de « columbusing » sortent: le twerk de Miley Cyrus, danse à laquelle la fofolle est désormais associée dans toutes les consciences, alors qu’elle dérive pourtant du bounce de la fin des années 90, qui est d’ailleurs en soi une variation du mapouka et du soukous de Côte d’Ivoire; ainsi que le mégatube de la chanteuse lesbienne Mary Lambert, artiste qui n’a véritablement cartonné que le temps de son association avec Macklemore et Ryan Lewis, deux hétérosexuels blancs. Bref, ce sketch de College Humor fait du « columbusing » l’acte de faire mine de découvrir et de rendre des choses acceptables pour les blancs dominants alors qu’elles sont connues depuis longtemps des minorités. En d’autres termes, c’est de l’appropriation culturelle.

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Je n’ai aucune envie de pointer ici la page Facebook où j’ai découvert ce concept, sa tenancière tenant à mes yeux davantage de la pathétique emmerdeuse névrosée que de la passionara féministe éclairée. Elle se verrait citée ici, on en aurait pour des heures et des heures de vaine bagarre, d’autant que je suis un hétérosexuel blanc de plus de 45 ans, autant dire l’ennemi tout désigné. Il faut pourtant que je parle du contexte de ma découverte du « columbusing », qui est donc déjà importé en Europe. C’est une bête histoire de restaurant. À Paris, dans un quartier populaire excentré, un type, un blanc, a ouvert un resto asiatique. Il emploie des cuisiniers asiatiques, ses recettes sont asiatiques ou du moins pas plus européanisées que souvent, mais il est blanc, tout comme la majorité de son public. Et donc, le voilà accusé de « columbusing » par une bande de justicières de réseaux sociaux particulièrement hargneuses. Que les clients du coin aiment aller chez lui et pas chez d’autres restos plus douteux du voisinage me semble quant à moi essentiellement tenir des lois de l’offre, de la demande et de la concurrence mais non, c’est de racisme dont ils sont tous accusés. Parce que oui, aller bouffer chez un Asiatique dont le patron est blanc, c’est le début du racisme pour ces cinglées de la page Facebook en question.

Pour remédier à ce racisme insidieux, il faudrait selon elles toujours se poser quelques questions avant de réserver une table dans un restaurant « étranger » ou même aller se faire masser alors que le massage a été inventé ailleurs: qui fournit le service? Est-ce qu’il est respectueux et réfléchi par rapport à sa véritable origine? Que m’apprend-il de cette culture? Est-ce que je risque de heurter un Italien si je mets des ananas sur ma pizza ou, au contraire, toute l’Italie va bénéficier de mon soutien à cette hérésie? Je me suis plié à cet exercice et c’est une catastrophe, un véritable génocide culturel. J’aime les Beastie Boys alors que le hip hop a plutôt tendance à me les concasser. J’aime les Talking Heads, surtout quand David Byrne se prend pour Fela Kuti. J’aime Acid Arab et je pense que le meilleur album du moment est celui de Cheveu & Groupe Doueh mais je n’écoute sinon que peu de véritable musique arabe. J’ai aussi eu mes habitudes chez un Grec qui était en fait albanais. Bref, je colombationne grave.

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Après, si on réfléchit ne fût-ce que 10 secondes, il n’y a pas vraiment de quoi culpabiliser. Il est indéniable qu’Elvis Presley et les Rolling Stones ont beaucoup volé aux bluesmen afro-américains mais d’un autre côté, les Blacks de la techno et de la house doivent pas mal à Kraftwerk et à Giorgio Moroder. Et le rap à David Axelrod. Je ne joue pas là au troll qui retourne le problème et défend la culture dominante blanche. Je veux juste souligner qu’au plus il y a de ping-pong entre cultures différentes, que ça voyage, que ça se cogne, que ça accouche de drôles d’hybrides, je pense qu’au mieux c’est. Pas toujours, c’est vrai: quand David Guetta colombutionne une musique blanche devenue noire redevenue blanche ou quand CloClo se pique de donner un goût de camembert aux tubes de la Motown, on y perd. En revanche, quand des films comme Blade Runner ou le premier Matrix volent aux mangas et à la philosophie européenne pour accoucher d’hybrides qui finissent par eux-mêmes influencer les mangas et la philosophie, on aurait plutôt tendance à y gagner.

Autrement dit, je pense que la différence entre l’appropriation culturelle et l’influence peut être très ténue et sans doute trop ténue que pour mériter tant de ramdam. Racialiser la question, c’est aussi oublier une constante de l’histoire culturelle: qu’il soit blanc ou noir, asiatique ou arabe, le véritable inventeur, le véritable pionnier, finira toujours par être récupéré, copié et dilué dans le mainstream, y compris celui de sa propre région d’origine. La vidéo de College Humor mettait en scène un blanc faisant mine de découvrir un bistro black mais on pourrait très bien remplacer le collégien américain blanc par un Saint-Gillois prof à l’ERG et le bistro noir par un rade de vieux pochetrons du Parvis eux aussi blancs que le sketch n’aurait même pas besoin d’être beaucoup édité. D’où cette impression que sous couvert d’exiger du respect ainsi qu’un code de bonne conduite réglementant l’utilisation de cultures minoritaires, les dénonciateurs les plus acharnés du « columbusing » ne sont en fait pas loin de prôner un isolationnisme culturel assez mortifère et au storytelling racial totalement exagéré.

Un bon exemple pour illustrer ceci est un article du Huffington Post qui critique l’appropriation culturelle par les blancs de la figure de Martin Luther King. L’idée que l’on puisse « blanchir » MLK pour en atténuer la portée révolutionnaire strictement black et toujours explosive n’est pas à négliger mais d’un autre côté, ce n’est pas forcément colombufier qu’estimer que le docteur King est une personnalité dont tout le monde, y compris les blancs, devrait s’inspirer et apprendre, surtout en 2017, qui a tout de même l’air de marquer le début d’une séquence de l’histoire où l’on va tous devoir se battre pour nos droits élémentaires et pas si acquis que ça. Défendre sa culture bec et ongles, exiger que ceux qui s’y intéressent et la consomment la respectent selon un code précis, exiger que chacun s’en montre digne, c’est tout simplement terrifiant. L’effet pervers, le risque, c’est celui d’une culture sous cloche. Ce qui est par ailleurs précisément l’un des fantasmes du FN.

Bien sûr, je n’ai pas tout compris à ce concept. Peut-être parce que je suis justement un hétérosexuel blanc de plus de 45 ans. Autrement dit, quelqu’un issu d’une génération qui, à 20 ans, n’en avait strictement rien à cirer des histoires de couleurs de peau, de préférences sexuelles, de frontières et de protections des cultures. C’était le soundclash permanent, le sampling généralisé, la chute des murs, Interrail pour tous, le Grand Méchoui, Touche Pas à Mon Pote, le raï sur les radios commerciales, la grosse rigolade house avec les gays, le kebab avec les frites à la mayonnaise et le Coca et l’extrême droite qui ressemblait à un folklore en train de s’éteindre. Ça n’a duré que quelques années. Mais c’était bien. Les gens étaient un peu moins crispés, on va dire.

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