Monologue d’été (3/4): Tous ces moments sous la pluie ne seront pas perdus et serviront à vous vendre des assurances et des voyages en train

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Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Ambiance plus sombre qu’estivale et bottes en caoutchouc plutôt que short pour ce Crash Test S06E44 écrit à Liège, ce week-end, juste après le drame. Au menu: publicités déplacées et selfies #floodporn. Anecdotique? Personal Branling? Appel politique, plutôt…

Komoot m’a proposé une ballade à Durbuy ce weekend, ainsi que la découverte de la cascade du Ninglinspo. Instagram a tenté de me pousser à m’abonner à VisitWallonia et d’admirer le Château de Walzin « du bas, lors d’une descente en kayak sur la Lesse« . Une publicité pour un « système anti-cambriolages intelligent » est aussi apparue sur mon fil. J’habite Liège, dans un quartier resté au sec, à plus d’un kilomètre de La Meuse. Ce qui ne m’empêche pas de trouver ces pubs un poil indécentes. De même carrément estimer qu’un moment, au moins durant les jours de grandes catastrophes et d’attentats, il va devoir sérieusement être question de contrôle humain des algorithmes qui déversent la publicité sur ce genre d’applications. Si quelqu’un va sept fois d’affilée checker le site de la SNCB un après-midi où les trains sont annulés les uns après les autres, vu que des tronçons entiers de rails sont sous eaux, ce n’est pas franchement la peine d’ensuite lui balancer des publicités personnalisées pour le Railpass et une journée à la Côte. Verviétois, je ne serais pas non plus très content de recevoir des pubs pour Velux juste parce que j’ai entré dans Google « comment casser un Velux avec une chaise quand on a la moitié du corps dans l’eau?« … Un minimum de décence, rien de bien révolutionnaire: ça ne viendrait à personne de la télévision de maintenir la programmation de Waterworld ou de L’Aventure du Poséidon un soir d’inondations majeures, alors pourquoi laisser la pub retourner bien des couteaux dans bien des plaies?

(parce qu’elle paye plus, mais cette explication ne me suffit pas)

Tout le monde se cabre sur les fake news mais c’est vieux comme le monde, les fake news. Chassez ça par la porte, ça revient par la fenêtre. Un truc que je trouve d’ailleurs totalement lamentable, c’est d’avoir donné autant de place et même de noblesse à l’explication des erreurs de journalistes. Tous ces sites de fact-checking qui démontent les conneries pour se donner bonne conscience sont très applaudis et soutenus politiquement mais je ne vois aucune gloire à expliquer les erreurs après qu’elles aient été lâchées dans la nature. Ou pire, les délires de tarés, genre la Terre plate ou le vaccin qui nous transforme en batteries pour Microsoft. Le truc, c’est quand même de vérifier la validité de ce que l’on avance avant de le publier, pas après. Sauf, bien entendu, qu’une grosse connerie, ça fait du clic. Et si après la polémique, la grosse connerie est expliquée et démontée, ça fait encore du clic. Alors que simplement sortir une info sûre et confirmée, ça fait éventuellement beaucoup de travail pour un résultat pas forcément terrible en termes d’audience et d’engagement. Mais soit. Tous ces picaillons allant à la chasse aux fake news, autant dire aux moulins à vent, moi, je pense qu’ils devraient donc plutôt être utilisés à une meilleure gestion de la publicité personnalisée générée par analyse algorithmique du comportement en ligne. Qu’on paye des gens pour contrôler que les jours de crash aérien, les algorithmes n’inondent pas les réseaux sociaux de pubs pour des allers/retours en Thaïlande à prix « massacrés« , par exemple. Où que lorsque Poutine fait envahir la Crimée, on ne me sorte pas sous l’article l’annonçant une promo pour une croisière sur la mer Noire, avec halte à la découverte de Yalta et de « son histoire mouvementée« . Pour les fake news, c’est foutu depuis perpète mais là, vu que cette technologie est bien plus récente, il est sans doute encore temps d’agir, de taper à la réglette en fer sur les petits doigts boudinés d’enfants du Diable mal dégrossis des responsables. Ou même de penser à un système d’assurance/annulation pour les campagnes de pub, en cas d’actualité difficile où devrait en principe s’arrêter le cirque commercial.

Seul l’humour cynique a peut-u0026#xEA;tre encore un peu de mal u0026#xE0; passer. Qui d’un peu connu oserait aujourd’hui une bonne blague sur Trooz ou Chaudfontaine?

À moins, bien entendu que l’exploitation des drames fasse désormais partie de la panoplie de base des utilisateurs de réseaux sociaux; les firmes, les stars médiatiques et politiques et aussi le pékin lambda. Que s’installe dans les consciences l’idée qu’à partir d’une réalité terrible, toutes les exploitations ou presque sont admises: la publicité pour des produits, la publicité personnelle, la récupération politique, la diversion aussi… Seul l’humour cynique a peut-être encore un peu de mal à passer. Qui d’un peu connu oserait aujourd’hui une bonne blague sur Trooz ou Chaudfontaine? Mais comment sinon penser à réguler la publicité jugée déplacée quand on se fait soi-même, en tant que politicien, tirer le portrait dans les ruines de Pepinster? Comment bien faire comprendre le souci des algorithmes en roue libre à des Twitosses qui veulent aider les sinistrés wallons mais surtout bien faire savoir à un maximum de monde qu’ils veulent aider les sinistrés wallons? Dans un monde immensément hypocrite où décideurs et prétendus influenceurs se prennent continuellement la fraise en photo tout en prétendant ne pas avoir le melon, comment convaincre que la publicité déplacée sur Internet les soirs de drames puisse être un véritable souci éthique?

Combien de décideurs et d’influenceurs ne vont d’ailleurs pas sincèrement penser que j’aurais mieux fait de venir à Angleur avec une pelle plutôt que d’écrire ceci, qui sera forcément interprété comme un coup de gueule vain, hors-sujet, égoïste? Ou même m’accuser d’essayer de moi-même ici tirer quelque gloriole des événements, même si de façon totalement détournée? Ça n’en fait pas forcément des enflures et des crétins. Juste des gens qui tournent différemment, qui vivent dans une réalité parallèle à la mienne, où la pub, la comm’ et la pose sont drôlement moins méprisées et mieux intégrées au quotidien que dans mon monde. Que des gens vivent de plus en plus dans des réalités complètement parallèles, ne se comprenant même plus sur des points aussi basiques et anodins que réels, est d’ailleurs la principale leçon que j’ai retenu de cette saison à observer pour Focus ce qui se trame sur les réseaux sociaux. Mais ça, ça sera pour la semaine prochaine…

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