Lettre ouverte à tous nos élus politiques (qu’ils soient en charge de la culture ou non)

La Monnaie/De Munt à Bruxelles. © BELGA/Laurie Dieffembacq

Les coupes budgétaires dans le secteur culturel n’en finissent plus de faire jaser. Aujourd’hui, quatre associations bruxelloises signent conjointement une lettre ouverte au monde politique dans laquelle ils réaffirment l’importance de l’art et de la culture. Nous vous la reproduisons ici en intégralité.

Investir dans la culture pour construire un « Bruxelles où tout le monde se retrouve »

Le Réseau des Arts à Bruxelles (RAB), le Brussels Kunstenoverleg (BKO), le Conseil bruxellois des Musées (CBM) et la Concertation des Centres Culturels bruxellois (CCCB) souhaitent par la présente exprimer leur mécontentement par rapport aux multiples coupes budgétaires infligées au secteur culturel. A l’instar des nombreuses initiatives ou opinions formulées par leurs collègues, ils rappellent que l’art permet de réaffirmer les valeurs indispensables à la construction d’une société juste, telles que la démocratie, la solidarité, l’ouverture à l’autre et la réflexion critique… même (et surtout!) en période de crise. De plus, ils s’inquiètent des conséquences que ces mesures entraîneront sur le terrain bruxellois, réel laboratoire à la croisée des enjeux.

Des coupes budgétaires et des menaces à plusieurs niveaux…

A l’heure où les différents gouvernements sont formés et les budgets finalisés, il apparaît clairement que l’avenir du secteur culturel bruxellois est menacé:

• Les organisations flamandes ont récemment appris que leurs subsides seront réduits de 7,5% à partir de 2015 et que des économies importantes seront également effectuées sur les infrastructures.

• De son côté, la Fédération Wallonie-Bruxelles a annoncé une coupe transversale de 1% sur les conventions et contrats-programmes, en sus de la pression déjà exercée sur le secteur depuis plusieurs années (non-indexation des subsides, économies dans les budgets équipements, etc.).

• Plus inquiétant encore, le gouvernement fédéral a quant à lui récemment dévoilé son budget. Les institutions culturelles fédérales (Bozar, La Monnaie/De Munt et l’Orchestre National de Belgique), toutes basées à Bruxelles, ainsi que les établissements scientifiques (dont les Musées royaux des Beaux-Arts et les Musées royaux d’Art et d’Histoire) devront considérablement réduire leurs dépenses (certains parlent de 20 à 30% d’économies).

• Au niveau de la Région bruxelloise, le flou règne quant aux mesures liées à l’emploi au sein du secteur culturel, que ce soit par rapport aux postes ACS dont on annonce la révision du système, ou aux réductions de cotisations patronales liées aux prestations artistiques dont le mécanisme n’a pas encore été défini.

• En ce qui concerne la Commission européenne, s’il n’est pas encore question d’économies, les craintes du secteur se cristallisent autour de la nomination du Hongrois Tibor Navracics en tant que Commissaire en charge de la Culture – et ce malgré l’avis négatif émis par le Parlement. En effet, que peut-on espérer d’un politicien qui a restreint la liberté des médias dans son propre pays?

A la croisée de ces niveaux, Bruxelles touchée de plein fouet…

Plus que toute autre ville belge, Bruxelles attire les artistes du monde entier. Notre capitale est un lieu où il fait bon créer, expérimenter… et innover. De nombreuses petites structures (lieux d’accompagnement, bureaux de production, collectifs, etc.) soutiennent les artistes dans leur pratique et contribuent au dynamisme d’un paysage culturel riche et diversifié. Certaines mesures annoncées risquent de représenter pour beaucoup de ces organisations déjà fragiles un coup fatal dont elles ne pourront pas se remettre.

Les grandes institutions que sont Bozar et La Monnaie/De Munt (entre autres), tout comme nos compagnies et artistes, sont reconnues au niveau international pour la qualité et le caractère innovateur de leur travail. Grâce à ses opérateurs et écoles artistiques, Bruxelles peut se targuer d’occuper une place à la pointe de la création artistique actuelle. On ne compte plus le nombre d’artistes étrangers qui font le choix de s’établir dans notre capitale, attirés par la diversité de la ville et l’émulation créative qui y règne.

D’autre part, Bruxelles se caractérise par une identité multiple et hybride. Les spécialistes la qualifient aujourd’hui de ville « superdiverse ». Dans ce contexte, la défense d’intérêts communautaires apparaît comme désuète. Le défi actuel de notre capitale et de sa zone métropolitaine consiste à imaginer un vivre ensemble commun, où chacun puisse s’épanouir, dans le respect de ses valeurs et de ses racines, sans que l’une ou l’autre communauté ne prédomine.

De très nombreuses organisations et associations (artistiques, culturelles et socio-culturelles) bruxelloises agissent dans les champs de la médiation culturelle, de la participation, du lien avec l’enseignement ou encore, pour les musées, de la préservation des collections. Ancrées dans un contexte urbain, elles s’adressent à des publics toujours plus larges, cherchent à entrer en dialogue avec la ville qui les entoure et contribuent au développement d’une assise pour un projet commun. Ce travail exige un investissement important en temps et en personnel, mais ses résultats se mesurent en termes immatériels visibles et objectivés dans les champs éducatifs, sociaux et citoyens. Si des choix doivent être faits, il y a fort à parier que la médiation des publics et les pratiques artistiques innovantes ne seront pas épargnées. Les conséquences, bien que strictement non-quantifiables, pourraient être désastreuses.

Aujourd’hui, c’est donc l’ensemble du secteur culturel bruxellois qui manque d’oxygène. De très nombreux opérateurs (petits et grands) indiquent que leur fonctionnement est mis en danger. Non seulement laproduction artistique est rendue difficile, mais le rôle de notre secteur en tant qu’acteur de société et moteur du vivre ensemble se voit menacé.

Pour un « Bruxelles où tout le monde se retrouve »?

Le secteur culturel bruxellois relève (et combine) les défis du rayonnement international et de l’ancrage dans une ville « superdiverse ». De plus, il stimule de manière positive la rencontre nécessaire des deux grandes communautés de notre pays.

Nos élus politiques veulent-ils réellement saper les bases de ce travail essentiel? Ne souhaitons-nous plus que notre capitale incarne et fasse rayonner la richesse culturelle de notre pays, au niveau national et international? Allons-nous vraiment laisser tomber les artistes et institutions dont nous sommes si fiers et toucher au noyau de cette dynamique bruxelloise ? Les efforts pour diversifier les publics et l’offre culturelle dans notre capitale cosmopolite n’en valent-ils donc tout simplement pas la peine? Sans tomber dans le chauvinisme mais en prenant en compte la réalité décrite ci-dessus, peut-on espérer que tous nos responsables politiques reconnaîtront un jour les particularités du secteur culturel bruxellois? Qu’ils valoriseront l’expertise acquise par les acteurs de terrain dans la construction de ponts et le tissage de liens? Et qu’ils comprendront l’intérêt de soutenir cette fonction de ville laboratoire pour une société meilleure?

Bruxelles, le 28 octobre 2014

Le Réseau des Arts à Bruxelles (RAB)

Het Brussels Kunstenoverleg (BKO)

La Concertation des Centres Culturels bruxellois (CCCB)

Le Conseil bruxellois des Musées (CBM)

Le Réseau des Arts à Bruxelles (RAB), le Brussels Kunstenoverleg (BKO), le Conseil bruxellois des Musées (CBM) et la Concertation des Centres Culturels bruxellois (CCCB) rassemblent plus de 250 organisations (membres effectifs et membres adhérents) actives dans diverses disciplines; arts de la scène, musique, arts plastiques, littérature, etc. Leurs profils sont également variés: des infrastructures théâtrales, muséales et centres culturels aux lieux d’accompagnement d’artistes et compagnies, en passant par les festivals, centres culturels et associations liées à la médiation ou la communication culturelle. La diversité croissante des membres de ces réseaux constitue l’assise sur laquelle s’est appuyée la rédaction de ce texte.

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