Serge Coosemans

La huitième règle du Fight Club à deux pas du Parvis de Saint-Gilles

Serge Coosemans Chroniqueur

À la rentrée, entre la Porte de Hal et le Parvis de Saint-Gilles, ouvrira le Fight Club, un nouveau bar de Frédéric Nicolay. Serge Coosemans aurait préféré un nouveau Moda Moda, un Pablo Disco Bar 2.0 ou encore un Bierkelder 2017. Bistrologie, socio de comptoir et horeca conformiste, c’est le Crash Test S02E36.

Dans le gratuit Bruzz de la semaine, Frédéric Nicolay annonce pour la rentrée un nouveau bar à Saint-Gilles, le Fight Club. « Quand on lui demande à quoi va ressembler le projet, il n’a qu’une réponse, nous dit l’article de Michel Verlinden: « la première règle du Fight Club est qu’il est interdit de parler du Fight Club » ». Pour rappel, la huitième, c’est que si c’est votre premier soir au Fight Club, vous devez vous y battre. J’attends donc d’y avoir été avant de réellement le critiquer. Mais je le critiquerai plus que probablement. Déjà parce que s’il y a bien une chose dont on n’a pas besoin à Saint-Gilles, c’est un nouveau bar à la Frédéric Nicolay, surtout à deux pas du Parvis. Et puis, c’est que ce Fight Club va s’ouvrir dans les murs retapés d’un ancien petit restaurant familial espagnol où j’ai quelques fois dîné, il y a fort longtemps. Je n’en suis pas du tout nostalgique. Je n’ai même pas gardé un souvenir ému ou impérissable de ce que l’on y servait, sinon que c’était à la tonne. Mais disons qu’en tant que quasi-habitant du quartier, je préfère qu’y existent des gargottes du genre qu’un énième bar à la Frédéric Nicolay. Tout comme j’aimerais beaucoup qu’il existe à nouveau dans cette ville des bars où l’on passe du métal et du punk, des bars S&M, des Tiki bars, des bars Exotica avec un décor de jungle et de la musique des années 50, des bars avec du personnel sympa, des bars comme dans Orange Mécanique, des bars comme dans les films de Tarantino, des bars à whiskies, des bars à la Beverly Hills 90210, un Pablo Disco Bar 2.0 et puis, surtout, des bars saint-gillois interdits aux gens qui ont une tête à jouer dans Ghinzu.

Je n’en serais pas forcément client, cela dit. C’est juste pour le décor. Pour que Bruxelles cesse de ressembler à une succession de supermarchés de proximité, de vendeurs de smartphones, de pharmacies, de trous en pleine rue qui se rebouchent en 6 mois et de bars à la Frédéric Nicolay. J’aimerais tout simplement, ô Grand Saint-Nicolas, plus de variété dans l’offre commerciale actuelle. Juste ça. Il est d’ailleurs sans doute utile de préciser que je n’ai rien contre Frédéric Nicolay. Je ne suis pas de ceux qui le détestent par principe et le considèrent comme un horrible spéculateur, le bras armé de la gentrification galopante ainsi que quelqu’un qui mange du pauvre à chaque petit déjeuner. Ce type a ses casseroles et a déjà balancé quelques grosses idioties dans les médias mais il a ses fulgurances, aussi. Et je suis client de certains de ses bars. Sans déplaisir aucun. Mais sans réel plaisir non plus. Je consomme chez lui et ses suiveurs de façon complètement dépassionnée. Je suis là comme je suis chez tel opérateur de téléphonie et pas chez un autre, parce que son offre est facile, disponible et correcte, sans plus, et que j’ai la flemme de chercher mieux. Même si au fond, j’ai vraiment envie d’être ailleurs. Vous regardez TF1 plutôt qu’un Sidney Lumet, vous lisez Stephen King plutôt que Curzio Malaparte, vous écoutez Pure FM plutôt que la musique que vous aimez vraiment. C’est ce même déclic qui fait que je vais dans l’un de ses bars et non dans un autre qui aurait davantage de personnalité, servirait des produits exclusifs, touillerait des cocktails zinzin et passerait de la musique inouïe. J’ai sinon aussi fort envie d’un jour à nouveau ressentir un peu de peur au moment d’entrer dans un nouveau bar. Comme jadis, ado, quand j’entrais dans un bistrot de footeux, punk ou gay. Or, c’est de plus en plus rare, peut-être même impossible. Merci qui?

On frôle tout simplement l’overdose de bars à la Frédéric Nicolay. Quand ce n’est pas lui qui les ouvre, ce sont ses sous-fifres, ses suiveurs, ses copieurs. Un bar à la Frédéric Nicolay devient à Bruxelles aussi générique que les immeubles en briques rouges d’Evere critiqués par Benoît Poelvoorde dans C’est arrivé près de chez vous ou les haies bien taillées dans la partie la plus huppée et résidentielle d’Uccle. C’est la norme et la norme est par essence ennuyeuse. Et puis, inutile de nier: cette prolifération de bars qui sont des répliques de répliques de répliques entraîne forcément un certain feeling provincial désormais bien ancré dans les quartiers qui bougent de la capitale, une certaine exclusion sociale et un certain ennui chez les véritables « branchés », ceux du lot qui restent les plus irréductiblement anticonformistes. Dans son papier pour Bruzz, Michel Verlinden dit que « sachant ce que l’on sait de lui, le lieu devrait s’inscrire dans une certaine continuité, celle qu’il développe depuis plus de 25 ans. Car à l’inverse des Costes et autres Terence Conran dans les autres grandes villes européennes, il signe des adresses dont les décors n’excluent pas. »

Je ne suis absolument pas d’accord avec ça. Il n’y a rien de plus clivant qu’un bar à la Frédéric Nicolay et pas seulement parce que la plupart d’entre eux vise un public relativement socialement favorisé alors qu’ils sont implantés dans des quartiers souvent pauvres. Ces bars occupent surtout un espace qui pourrait être celui de propositions différentes, plus inhabituelles, plus osées, plus imaginatives. Il y a 5 ans, Frédéric Nicolay avait lancé une petite polémique en prophétisant que dans 10, 20 ou 30 ans, Bruxelles deviendrait « chiante », « quand tout sera fait, tout sera rénové », vu qu’elle allait alors « ronronner ». La question à se faire plein d’amis de la semaine: et si il y contribuait, en fait, Frédéric Nicolay, à nous mener vers cet avenir pas du tout sexy?

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