Laurent Raphaël

Têtes à claques

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

Que celui qui n’a jamais eu envie d’en coller une à son fils/sa fille, son père/sa mère, son collègue, son chef, son conjoint, sa voisine, quand ce n’est pas à lui-même, nous jette la première pierre. Ce n’est pas pour autant qu’il y a passage à l’acte. Mais tout le monde a expérimenté, sauf peut-être le Dalaï Lama, ce point d’ébullition verbale où le lait des émotions déborde de la casserole. Selon l’éducation, l’état de fatigue, le taux de frustration dans le sang, l’acidité de la pomme de discorde, cet état instable débouchera sur un chapelet d’injures ou sur une gifle sonnante et trébuchante. Immédiatement suivie d’une dose de culpabilité aussi brûlante que la joue de la victime en train de virer au rouge vif. Car celui qui prend la claque et celui qui l’assène savent tous deux qu’à cet instant précis, la conversation bascule dans une autre dimension, qu’ils quittent les rivages dociles de la civilisation pour entrer dans les zones humides et hostiles de la jungle où tous les coups sont permis.

Paradoxalement, cette baffe qui fait si mal et qui ne résout rien, humiliation suprême qui se lavait dans le sang à la fine pointe de l’aube il n’y a pas si longtemps, est aussi un ressort essentiel de la comédie. Il y a donc gifle et gifle. Celle gorgée de fiel et de rancoeur, et celle, inoffensive, qui se parodie elle-même, désamorçant son venin à force d’exagération, de pitrerie. Dans le slapstick, ce genre burlesque prisé de Buster Keaton, les taloches pleuvaient pour empêcher quiconque de se prendre trop au sérieux. Rien à voir avec son double domestique qui hante la rubrique des faits divers et qui a le goût rance de la maltraitance et de la violence conjugale.

La torgnole ne laisse pas que des traces sur l’épiderme, elle provoque aussi des bleus à l’âme. Et ceux-là sont indélébiles. Un peu dépassée par les événements ces derniers temps (trop « tendre » pour incarner la violence extrême de nos sociétés mais trop barbare pour être encore admise dans la sphère scolaire), la gifle refait parler d’elle.

Dans l’arsenal pédagogique d’abord avec sa version soft, la fessée, que certains voudraient bien réhabiliter pour mettre au pas les petits sauvageons. Avec l’appui des pédopsychiatres d’ailleurs, qui s’inquiètent du sort de ces enfants auxquels on a inculqué les droits mais pas les devoirs.

Sous sa forme romanesque ensuite. De quoi réveiller les souvenirs du film La gifle (1974), dans lequel Lino Ventura avouait son impuissance en mettant une mandale à sa fille (Isabelle Adjani), coupable de vouloir prendre son indépendance. Dans le roman homonyme de Christos Tsiolkas paru en début d’année, le geste fatal, d’un adulte sur un enfant roi capricieux qui n’est pas le sien, intervient dès le début de l’histoire. Plus que le climax d’une situation explosive, l’accident sert de détonateur à une réaction en chaîne qui permet à l’auteur, d’une plume ravageuse, de révéler l’envers de la carte postale australienne.

Même rôle déstabilisateur pour la morale dans le film In a better world de Susanne Bier, quand le père d’un gamin brimé par ses camarades se fait gifler par un autre paternel et qu’il ne réagit pas. Non par lâcheté mais par refus de répondre à la violence par la violence. Un pacifisme de bon aloi mais qui ne fait pas le poids face à cette brutalité bête et méchante… Dans les deux cas, une sacrée claque!

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