Laurent Raphaël

Faux et usage de faux

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Pas besoin de détecteur, il est partout, il empeste l’air. Mieux, ou pire, il s’est même offert une moralité.

L’édito de Laurent Raphaël

Oui, le mensonge, cette entorse éthique condamnée par les Evangiles –« Que votre oui soit oui et que votre non soit non. Tout ce qui est rajouté vient du Démon » (Matthieu 5, 37)- parade aujourd’hui sous nos fenêtres numériques à la vue de tous. Partie émergée de cet iceberg flottant sur l’océan de la relativité: les sites de rencontres extra-conjugales comme adulteres.be ou Gleeden, 1,8 million d’adhérents au compteur, dont 800.000 rien qu’en France.

Il ne faut pas être une grenouille de bénitier pour s’étonner de voir ces nouveaux marchands du sexe faire la promotion de l’infidélité jusque dans la rue avec des slogans amusants comme: « Être fidèle à deux hommes, c’est être deux fois plus fidèle. » Attention, qu’on nous comprenne bien: ce n’est pas tant la fin de l’amour bourgeois traditionnel qui nous chipote, ni que des adultes consentants s’envoient en l’air, mais bien l’hypocrisie d’un système vérolé qui donne d’une main libertine ce qu’il reprend, parfois violemment, de l’autre pour sauver les apparences, notamment juridiques. Soit on considère que le vieux fond judéo-chrétien qui proscrit, sauf danger de mort, le mensonge reste la moins pire des solutions et, dans ce cas, on évite le double-jeu au gré du vent et des pulsions, soit on en conclut que le costume déontologique qu’on enfile depuis 2000 ans est mité et il est alors urgent d’en fabriquer un nouveau aux mensurations des moeurs digitales.

Pas besoin de du0026#xE9;tecteur, le mensonge est partout, il empeste l’air. Mieux, il s’est mu0026#xEA;me offert une moralitu0026#xE9;.

L’un ou l’autre serait en tout cas préférable à ce mariage contre nature entre l’eau de la vertu et l’huile d’un dévergondage bon teint. Allez expliquer après ça aux enfants que mentir est un vilain défaut. Il ne faudra pas s’étonner de s’entendre répondre: « Pourquoi alors papa ne dit pas qu’il a rencontré une madame sur Internet? »

En attendant, le boniment se répand comme une traînée de poudre. Il s’installe et se banalise. Les politiques n’en ont plus le monopole. On ne prend même plus la peine de lui donner un semblant de vraisemblance. Plus il est gros, plus il passe. Au petit jeu des mots qui résument le mieux 2013, les internautes de France Inter ont d’ailleurs classé le mot « mensonge(s) » en quatrième position. Juste devant… « transparence », ce qui traduit bien le flou artistique ambiant, plus personne ne sachant à quelle rambarde épistémologique s’agripper.

« Nous vivons dans une société de séduction, expliquait récemment dans Le Monde le sociologue Jean-Claude Kaufmann. L’identité et l’estime de soi s’élaborent dans le regard des autres. » Du coup, il est implicitement recommandé d’embellir son CV, la réalité nue, sans adjuvants, ne payant plus. Et voilà comment photos et états de services étalés sur les profils se retrouvent gonflés au botox. Un bobard en entraînant un autre, on a vite fait de se représenter en Brad Pitt ascendant Einstein ou en Kate Moss diplômée de Harvard. Revers de cette médaille en toc: quand l’heure de vérité a sonné, elle a souvent très mauvaise mine…

Les séries télé font leur miel de ce syndrome Pinocchio. De Lie To Me à Pretty Little Liars en passant par Mad Men, la fiction montre toute l’étendue du pouvoir de nuisance du simulacre. On pourra toujours se rassurer en reprenant à son compte cette sentence tirée du Voyage au bout de la nuit de Céline: « La vérité, c’est une agonie qui n’en finit pas. » Mais il faudra aussi se souvenir dans le même temps que « le mensonge est la seule et facile ressource de la faiblesse » (dixit Stendhal).

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content