When The War Comes: la montée du populisme slovaque, miroir de l’indifférence de l’Europe

Les jeunes recrues Slovaques dans When The War Comes.

Dans When The War Comes, le documentariste tchèque Jan Gebert suit l’émergence effrayante d’un groupuscule paramilitaire slovaque, manifestation xénophobe de la peur du terrorisme. Rencontre.

De prime abord, nous n’aurions pas suspecté les ambitions de Peter Svrcek, jeune étudiant slovaque leader d’un groupe paramilitaire dans When The War Comes. D’un campement expérimental en pleine forêt à la place publique de son village, de sa vie privée ordinaire aux prémices d’une carrière politique, le journaliste et documentariste tchèque Jan Gebert a filmé ce jeune slovaque, incarnation de la figure autocratique imperturbable.

Se basant sur la peur d’un ennemi invisible, il dirige des jeunes hommes enclins à n’être qu’un numéro sur un brassard, à se faire hurler dessus jusqu’à la déshumanisation. Les « Recruits » slovaques bravent critiques et moqueries d’enfants dans les écoles pour défendre un idéal nationaliste, anti-migration. Avec une aisance abasourdissante, ils s’immiscent dans leur communauté et dans les convictions de leurs concitoyens, le drapeau slovaque à la main, battant le pavé de leurs bottes de soldats, sans grande réaction du gouvernement slovaque dont le président est le libéral indépendant Andrej Kiska.

Pourquoi avez-vous choisi de vous focaliser sur ce groupe paramilitaire spécifique pour votre documentaire?

Parce que l’histoire de ce groupe représente quelque chose qui se passe à l’échelle de l’Europe. J’ai vu que les forces du nationalisme étaient en pleine croissance début 2015. J’ai senti intuitivement que c’était une réaction à l’insécurité et à la peur et toute cette histoire sur la migration diffusée par les politiciens centre-européens. Ils faisaient un portrait menaçant de cette problématique. Ensuite, il y a eu les attaques terroristes de Paris et de Bruxelles. Ils se sont instantanément sentis menacés par ça. Ce groupe paramilitaire expérimental est une matérialisation de cette peur. J’ai été très surpris de remarquer que la plupart des membres du groupe étaient adolescents, très jeunes. À mes yeux, cela a été une nouvelle face de cette dangereuse réaction. J’ai immédiatement su que c’était le sujet de mise pour un documentaire visuel.

Quelle était exactement votre intention en les suivant de leur intimité? Étiez-vous libre de choisir les plans des scènes comme vous l’entendiez? Deviez-vous négocier avec Peter?

C’était difficile d’avoir un accès, en effet, et pas seulement au groupe, mais à leurs activités. Pour la partie privée, c’était la partie la plus délicate, mais elle était essentielle. Ce que j’ai essayé de faire était de montrer que ces personnes sont des gens normaux. Ils ne sont pas des monstres, ni même des néonazis comme nous pourrions le voir dans les films de la Seconde Guerre mondiale. Ils sont normaux. Cette situation m’a mise mal à l’aise. Ces idées dangereuses germent dans la tête de personnes normales. Ce n’est pas de cette manière qu’on aimerait le voir ni connaître l’histoire. La partie essentielle de l’histoire est la prise de conscience que le mal atteint des gens ordinaires et quand il s’empare d’eux, ça devient un problème. Quand c’est quelque chose d’extérieur à la société, déconnecté de l’ordinaire, c’est normal. Je voulais montrer leur vie privée, ordinaire et la tranquillité de la vie du personnage principal autant que possible. Je n’ai que partiellement réussi, car ils étaient très prudents.

Pourquoi se sentent-ils si isolés, comme ils le disent?

Je pense que c’est une partie d’une plus large réaction qui s’est vue dans toute l’Europe, pas seulement en Slovaquie. Ça prend différentes formes et endroits. Les gilets jaunes, ceux qui ont voté pour le Brexit et pour Donald Trump ont eu des réactions très semblables. C’est un refus de la démocratie et des valeurs libérales. Ce n’est pas si éloigné de vous et du reste de l’Europe. Ces gars portent l’uniforme, ils ont des visions très similaires de la liberté d’expression et de la démocratie que Trump, Farage et ceux qui protestent devant l’Arc de Triomphe. On remarque que la division sépare l’Europe en deux moitiés. Le Pen a encore percé très fort aux dernières élections. Je pense que cette montée du populisme se produit partout. Les Recruits ont juste une démonstration plus radicale.

Comment s’informent-ils? Quels types de médias existent en Slovaquie?

Facebook est leur outil d’organisation principal puisqu’ils ne sont pas officiellement enregistrés. Ils ont trouvé un manquement à la loi. S’ils n’existent pas légalement, personne ne peut les faire plier. Ils en tirent profit. Pour ce qui concerne les médias en Slovaquie, beaucoup sont prorusses, et ça devient très populaire. Des fakes news, des hoax et la paranoïa sont monnaie courante. Beaucoup de gens se fient à eux, surtout les Recruits.

Ce qui m’a surpris durant le tournage, c’est que ce groupe détient un grand soutien venant de la société. Ce que j’ai tenté d’illustrer dans le documentaire, les différents niveaux de la société ne sont pas parvenus à diagnostiquer ce qui se passe réellement. Ça commence par les parents qui ne détectent pas le danger dans le fait que leurs enfants participent à ces groupes paramilitaires avec ces armes, ces idéologies. La police se focalise toujours sur les aspects techniques de ce qu’ils font. Ils leur disent peut-être de ne pas porter les insignes et de les enlever, mais ils ne se focalisent pas sur le mérite de cette structure paramilitaire à côté de l’état, ce qui est préoccupant. Je suspecte qu’ils aient des connexions avec le gouvernement slovaque. Différentes institutions les soutiennent financièrement. C’est très perturbant. Ce week-end, il y aura des élections présidentielles en Slovaquie et les libéraux vont gagner, ce n’est pas un pays perdu. Ils sont très divisés. C’est comme un champ de bataille entre l’Est et l’Ouest.

Comment le mouvement a-t-il évolué depuis le tournage?

J’ai terminé le tournage l’année dernière. Je voulais aller au point de ressentir qu’ils accédaient à la politique. Peter prépare sa carrière politique. Il s’implique auprès de personnes influentes. Je leur ai rendu visite une fois cette année. Ils fêtaient leur septième anniversaire. J’y ai vu l’ancien premier ministre du début des années 1990. Il y avait également des représentants de l’armée. Peter est aussi très ami avec un candidat à la troisième place des élections cette année.

Ce documentaire a-t-il vocation à délivrer un message à l’Europe?

Je voulais montrer que des fantassins qui ont débuté dans la forêt, camouflés, finissent par accéder à la politique, avec des tenues plus formelles. Ils sont devenus très différents, et plus si maladroits et drôles qu’au départ. Les paramilitaires en tenue sont devenus un archétype de politicien qui s’adresse à la foule sur des places publiques, dans des écoles. La transition entre le marginal et la société le rend ordinaire. C’est parti de l’exemple de la société slovaque pour représenter ce qui se passe en Europe.

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Votre motivation vient-elle d’une pensée personnelle ou de votre volonté de citoyen européen?

Les deux sont liés. Ça part de mon opinion personnelle, de mes choix privés et de mes préférences. Je suis inquiet de ce qui émerge en Europe. Ce nationalisme est une mauvaise expérience venant du siècle passé, l’Europe centrale a connu des régimes totalitaires. C’est une réminiscence de ça. Ils ont créé un modèle de société totalitaire. C’est une histoire similaire à celle de Sa Majesté des mouches de William Golding ou La Ferme des animaux de George Orwell. Pour moi, il s’agit d’une dystopie, car nous savons vers quoi ça débouche.

S’en rendent-ils compte?

Ce que vous pensez être un risque, ils l’envisageront comme un but. Ils savent parfaitement ce qu’ils mettent en place. Peter, le personnage principal, sait exactement ce à quoi il aspire. Il aimerait être un leader comme ceux qui ont eu une emprise totale sur leur territoire. Il admire Vladimir Poutine. Nous pourrions l’avertir du risque, mais lui répondrait que c’est la meilleure des solutions.

Comment faites-vous pour garder un minimum de neutralité face à une situation que vous désapprouvez?

Je n’ai pas cherché à être neutre, sinon je ne ferais que documenter. Le fait que je ne sois pas devant la caméra ou que je ne parle pas ne signifie pas que je sois neutre. La façon dont j’ai structuré l’histoire, comment je me suis focalisé sur certains aspects. Ce sont des choix que j’ai faits. C’est un film engagé. J’y suis allé pour faire un film, non pas pour les éduquer. Le but n’était pas de les influencer et si le film devient leur miroir, ça m’importe peu. C’est plus un miroir de la société qui reste silencieuse face à ce potentiel mal.

Propos recueillis par Sandra Farrands

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