Wes Anderson a conçu le Bar Luce à son image

Sophie Deprez Stagiaire

Le Bar Luce, c’est un vrai bar. Pas une de ces pièces aseptisées qui rendent la position assise intenable au bout de 3 minutes. Assoiffé, guiboles fatiguées, le visiteur de la Fondazione Prada s’y assied et s’y sent bien. Il porte bien son nom, ce débit de boissons lumineux. Objectif atteint, donc, pour le réalisateur Wes Anderson, qui voulait concevoir un espace à vivre, dans lequel lui-même aimerait passer du temps. « Il est fait pour la vraie vie et contient bon nombre de chouettes endroits pour manger, boire, parler, lire, etc. Je pense que le bar pourrait faire un bon décor de film, mais je pense qu’il serait encore mieux pour écrire le scénario d’un film. J’ai essayé d’en faire un bar dans lequel j’aimerais passer mes après-midi hors de la fiction », avait-il déclaré lors de son inauguration.

Le Bar Luce récrée l’ambiance d’un café milanais typique. Il n’est pas conçu avec l’obsession de la symétrie qui caractérise si bien les cadrages aux allures de tableaux de maître Wes, mais assume parfaitement le fait qu’« il n’y a pas d’angle idéal pour cet espace », comme il le reconnaît lui-même.

L’idée d’une collaboration entre le cinéaste américain et la Fondation Prada, située à la périphérie de Milan, est née d’un dialogue créatif entre Anderson et Miuccia Bianchi Prada (à la tête de l’empire fondé par son grand-père). Ensemble, ils ont décidé de concevoir un bar inspiré de la culture et de l’esthétique de l’Italie des années ’50 et ’60.

L’intérêt du dandy coloré pour l’Italie et Milan est le résultat d’une fascination pour le cinéma néoréaliste italien et en particulier pour deux chefs-d’oeuvre tournés à Milan: Rocco et ses frères (1960) de Luchino Visconti et Miracle à Milan(1950) de Vittorio de Sica.

Les chemises blanches à manches courtes des baristi, les plateaux argentés, les couleurs pastel; tout, dans le Bar Luce rappelle ces références en même temps que les films de Wes Anderson (The Grand Budapest Hotel, La famille Tenebaum, La Vie aquatique). Même le jukebox et les flippers à l’effigie de Steeve Zissou.

La Fondazione Prada est un concept d’art contemporain relativement distinct de la marque de luxe Prada. Le site est situé dans un complexe industriel, une ancienne distillerie dont les sept structures originelles de 1910 persistent et accueillent un ensemble d’expositions d’art contemporain, projections cinématographiques, bar et « académie » pour enfants.

La Fondation, qui a ouvert ses portes en mai cette année, a aidé Wes Anderson dans ses recherches iconographiques sur les cafés milanais traditionnels d’hier et d’aujourd’hui. Le réalisateur a conçu le projet en autonomie et réinterprété librement ces références en rendant hommage à un symbole architectural de la ville de Milan: la Galleria Vittorio Emanuele, perceptible dans les frises qui parcourent les murs du bar animé et le plafond vouté reproduisant une version miniature du plafond de verre de la galerie. Le Studio Baciocchi s’est quant à lui occupé de la réalisation technique du Bar Luce. Non, Wes n’est pas architecte en plus d’être philosophe et cinéaste de renom, quand même.

Entre Wes Anderson et Prada, la relation avait déjà été consommée en 2013, quand le cinéaste américain avait réalisé pour la marque le court-métrage Castello Cavalcanti. Ce qui en résulte est une histoire populaire sur le destin à la sauce « Andersonienne ». Filmé dans un décor de Cinecittà parfait pour l’époque, Castello Cavalcanti met en scène un Jason Schwartzman citadin, qui échoue dans un petit village que la modernité a réussi à éviter. « Où suis-je? », demande le chouchou de Wes (Rushmore, À bord du Darjeeling Limited, Moonrise Kingdom, The Grand Budapest Hotel). Les villageois arrêtent leur partie de cartes le temps de pointer du doigt un bâtiment de briques, aux airs d’usine. « Castello Cavalcanti », dit l’inscription sur le mur en lettres blanches.

Ce n’est pas tout. Il y avait aussi la publicité pour l’Eau de Prada Candy, réalisée en 2013 par Wes Anderson et Roman Coppola (fils de Francis Ford et frère de Sofia Coppola). Dans un esprit de cinéma Nouvelle Vague, Léa Seydoux a trois minutes pour jouer une Candy inattendue qui nous emmène dans un voyage ludique – tous les sens aux abois – de séduction, rivalité et gâteau d’anniversaire.

Les deux courts métrages font ici écho avec les décisions artistiques de Wes Anderson pour son Bar Luce, dans lequel il est toujours attendu pour écrire son prochain scénario, comme il le sous-entendait lors de l’inauguration.

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