Serge Coosemans

Un James Bond black? Mais ouais mais non…

Serge Coosemans Chroniqueur

Pop-culture et carambolages. Après 4 ans de bons et loyaux services noctambules, Serge Coosemans fait le geek, étale sa science pop et n’hésite pas à flirter avec l’outrage aux tribunaux populaires des réseaux sociaux. Crash Test, S01E01.

La semaine dernière, l’auteur Anthony Horowitz s’est pris une bonne pelletée d’abrutis du Net sur le coin du pif pour avoir osé sortir en interview qu’il trouvait Idris Elba « trop street » pour interpréter James Bond au cinéma, avouant lui préférer un autre acteur black britannique, Adrian Lester. Ce dernier point a vite été zappé de la polémique, parce que pour certains twittos utilisant encore moins de neurones que de caractères au moment de poster publiquement leur avis sur l’actualité pop, juger qu’Idris Elba est « trop street » revient en fait à l’inviter à grimper à un arbre. Pire: quiconque surpris en train d’émettre des réserves quant à la possibilité d’un James Bond interprété par un acteur de couleur ne peut être que raciste. Ou homophobe, s’il montre tout aussi peu d’enthousiasme à l’idée elle aussi très discutée d’un James Bond gay. C’est la comparution immédiate au tribunal populaire de Twitter et je m’y prépare derechef, vu que moi aussi, je pense qu’un James Bond black et/ou gay serait a priori aussi dérisoire qu’un Fu Manchu mexicain ou un Shaft blanc-bleu-belge qui se saperait dans les outlets de Maasmechelen Village. Je dis bien « a priori », car ce n’est pas que l’idée soit mauvaise dans l’absolu. C’est plutôt qu’elle est faussement bonne dans le contexte cinématographique actuel.

Ce qui manque au cinéma mainstream contemporain, ce n’est pas un James Bond black et/ou gay, c’est un héros populaire et iconique black et/ou gay qui enfonce complètement James Bond au box-office. Directeur de casting, je pense que j’aurais opté pour un John McClane black et/ou gay, un Terminator black, un Robocop black et puisque l’on parle d’Idris Elba, je lui aurais carrément offert le rôle d’un Jason Bourne à la sexualité indéterminée. Pour James Bond, c’est un peu différent. Ce qui me retiendrait de faire jouer le personnage par un acteur black et/ou gay, c’est que si sa couleur de peau et/ou son orientation sexuelle ne servent pas l’histoire, ces paramètres ne seraient en fait que des gadgets de plus, servant bien davantage l’image de la franchise que son véritable fond. Or, pour quelqu’un comme moi qui décroche vite devant les incohérences, il se fait que le principal problème de la série James Bond est justement ce fond, qui tient depuis des années du bordel sans nom.

My name is Bling. Bling Bling.

Skyfall a beau avoir été un phénoménal succès, on sait tous que cela fait bien longtemps que les aventures de James Bond se cherchent, loupent complètement le XXIe siècle, que plus grand monde ne comprend même ce que racontent réellement les derniers films. La franchise manque d’idées propres et ressert généralement à sa sauce tout ce qui marche ailleurs. C’est une série de films inégaux, principalement tape à l’oeil, où le placement produit semble plus important que l’histoire. De plaisantes réussites comme Goldfinger, From Russia with Love et GoldenEye côtoient dans le catalogue de terribles navets de l’ordre de Die Another Day, A View To a Kill et, surtout, Quantum of Solace, le pire de tous. C’est ce qui rend James Bond si ringard, d’ailleurs. Jason Bourne, les super-héros de la Marvel, (presque) ceux de la DC et les personnages de Star Wars évoluent désormais tous dans des univers très pensés, qui se déclinent en préquels, suites et rip-offs voulus cohérents. Par contre, le monde de James Bond reste une grosse ratatouille à la temporalité fantasque et c’est bien pourquoi changer l’ethnicité et/ou l’orientation sexuelle du personnage me semble seulement et bêtement cosmétique, n’allant en fait amener que davantage d’incohérence et de confusion dans la série.

À moins que l’on accepte une théorie qui veuille que Sean Connery, Georges Lazenby, Roger Moore, Timothy Dalton, Pierce Brosnan et Daniel Craig n’aient en fait pas interprété le même personnage. C’est une idée simple qui rend le concept 007 un peu meilleur: dans cette optique-là, quand on travaille pour les services secrets britanniques, on reçoit un matricule, un permis de tuer et une identité complètement fabriquée, au nom de code identique depuis les années 60. Chaque James Bond se conforme à ce scénario (le goût du bling, l’art de la drague, l’humour cynique, la maîtrise du ski alpin, les grosses montres, tout ça…) mais sa véritable personnalité finit aussi toujours par ressortir. C’est ce qui expliquerait les tendances psychopathes de Sean Connery que les autres ont moins et la démission de Georges Lazenby après l’assassinat de sa femme. Roger Moore était du genre à prendre un peu plus son boulot par-dessus la jambe, Timothy Dalton a trahi le service, le revanchard Pierce Brosnan a reçu une retraite anticipée pour s’excuser du couac nord-coréen, après qu’il ait foutu un boxon politique monstre, et Daniel Craig reste aux yeux de ses supérieurs prometteur même si psychologiquement très perturbé. Personnellement, aussi geek soit-elle, je pense que c’est la seule théorie qui permette d’introduire très facilement un James Bond black et/ou gay dans le cadre d’un reboot prenant une distance amusée avec le « canon » James Bond hérité des sixties. Il se fait juste que ces gros ravis de la crèche de scénaristes ont déjà maintes fois complètement cramé cette possibilité, assumant au travers de détails pourtant dispensables que James Bond est bien seul et unique, veuf, évoluant dans notre univers réel, même s’il peut rajeunir de dix ans d’un épisode à l’autre quand tout le reste du casting récurrent vieillit pourtant normalement. Voilà donc les scribouillards condamnés à prétendre que soit James Bond a toujours été black et/ou gay le jour où cette idée sera vraiment lancée, soit à tout, vraiment tout, réinventer. Ce qui dans un monde pop à ce point saturé de reboots et de largesses par rapport aux matériaux existants n’est pas forcément une bonne idée, surtout si c’est pour chipoter à la Spider-Man (d’ici 2017, en 15 ans, ça nous fera pour l’Homme-Araignée 7 films, 3 acteurs et 3 univers différents).

Mon petit José

Il ne faut pas se leurrer, c’est l’argent qui décidera. Si dans un futur proche, James Bond devient black et/ou gay, ça sera fondamentalement un gros coup de poker financier jugé bankable. Le symbole ethnique, minoritaire, ne sera qu’accessoire, essentiellement marketing. Au fond, ça ne sera qu’un twist de forain, surtout destiné à attirer vers 007 des curieux et un nouveau public qui n’en auraient sinon rien à battre de cette véritable antiquité qu’est James Bond. On en fera un personnage black comme on pourrait le transformer en tueur de zombies d’après l’apocalypse ou en ennemi kung-fu d’Hitler. C’est désolant, la parfaite illustration d’un cinéma populaire réduit aux effets de manches et d’annonces pour tenter de choper un public par essence de plus en plus volage. Idris Elba ou n’importe quel autre acteur black feraient/feront sans aucun doute de très corrects James Bond, très certainement meilleurs même que Roger Moore et Timothy Dalton, mais, à part le très gros chèque, quel intérêt artistique auraient-ils tous à aller se perdre dans cette galère? Blanc, Noir, Arabe, Asiatique, hétéro, asexué, bi, gay ou transgenre, on sait déjà très bien qu’il ne faudra sans doute que deux épisodes aux scénaristes de 007 pour transformer ces éventuelles nouveautés osées en piteux clichés. Sauf sursaut scénaristique inespérable dans l’actuel contexte de la grosse ficelle généralisée, du nanar vendu comme produit de luxe, James Bond restera en gros à jamais James Bond: un agent secret caricatural qui sauve le monde dans les films les plus prévisibles et tartes qui soient. Le reste importe peu, relève de l’habillage, et comme le disait le grand penseur George Abitbol, « il ne faut pas tout confondre, mon petit José. Avoir le cul qui brille, ce n’est pas ce qu’on appelle la classe. » Pion central dans une grosse machinerie faussement prestigieuse, James Bond est donc condamné à n’être qu’un cul qui brille. La classe est ailleurs. Pour Idris Elba, souvent sur HBO et Netflix.

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