The Master
DRAME | Inscrivant son sixième long métrage dans l’Amérique des fifties, Paul Thomas Anderson y explore la relation se nouant entre un gourou charismatique et un ex-marine meurtri par les blessures de la guerre. Un film magistral, transcendé par Philip Seymour Hoffman et Joaquin Phoenix.
DRAME DE PAUL THOMAS ANDERSON. AVEC JOAQUIN PHOENIX, PHILIP SEYMOUR HOFFMAN, AMY ADAMS. 2H17. SORTIE: 06/03. ****
Une poignée de films aura suffi à Paul Thomas Anderson pour s’imposer comme l’un des cinéastes les plus doués de sa génération, ajoutant à la virtuosité la force pénétrante du regard. A travers son cinéma, c’est un continent qu’il passe au crible, incarné dans des personnages en quête hypothétique de leur part de ce que l’on appela un jour « the American dream ». Et cela, qu’il s’agisse du gamin naïf s’accomplissant en vedette du X de Boogie Nights, des lendemains amers à la clé, ou du prospecteur misanthrope de There Will Be Blood que sa réussite matérielle isolera toujours un peu plus, de son plein gré au demeurant.
D’une exceptionnelle densité, ce film-là remontait aux fondements mêmes de l’Amérique, capitalisme en marche et foi (ou ce qui en tenait lieu) esquissant un curieux pas de deux au nom d’intérêts supérieurs bien compris. Arrivant cinq ans après, le non moins formidable The Master en apparaît comme le pendant rugueux. Le cadre en est cette fois l’Amérique des fifties, naviguant entre incertitudes post Seconde Guerre mondiale et optimisme sans précédent. C’est dans ce contexte singulier que le film va orchestrer la rencontre entre deux hommes. Le premier se nomme Freddie (Joaquin Phoenix), un ex-Marine s’étant battu dans le Pacifique, et dont la vie n’a été qu’une longue dérive depuis son retour au pays, pour le laisser, in fine, à son alcoolisme et à son instabilité chronique. Le second s’appelle Lancaster Dodd (Philip Seymour Hoffman), et est le leader charismatique d’une secte comme il en fleurit de nombreuses à l’époque -le personnage est vaguement inspiré de Ron Hubbard, le fondateur de la scientologie-, celle-ci s’appelant The Cause.
Un lien ambigu
A peine leurs routes se sont-elles croisées que le gourou va trouver dans l’épave ingérable débarquée au débotté le cobaye idéal pour mettre à l’épreuve ses théories et ses thérapies. Soit, en l’occurrence, un salmigondis promettant à l’individu de reprendre le contrôle de son existence, en un discours fumeux que le prédicateur charmeur ne manque pas d’amender à vue, le prosélytisme étant parfois à ce prix.
Entre le mentor et son fragile disciple, le lien est plus ambigu qu’il n’y paraît cependant, où la fascination le dispute à la dépendance mutuelle, suivant une dynamique fluctuante. Si bien que de leur face à face découle un drame psychologique d’une suffocante intensité. Anderson ne s’y borne d’ailleurs pas à explorer leur relation: s’il s’en tient, pour l’essentiel, à une mise en scène viscéralement claustrophobique, il la parsème aussi de diverses respirations qui, à l’instar de son épisode désertique, donnent au film un horizon à sa mesure, infinie. The Master s’apparente par endroits à une vaste errance en effet, limpide et opaque à la fois, et brassant des enjeux multiples, son ancrage religieux en tête, tout en prenant la mesure de son époque. Soit un film-monde, dont l’exceptionnelle richesse trouve son pendant dans une éclatante maîtrise formelle et une stupéfiante beauté, soulignée par le 70mm. Le tout, porté à incandescence par son formidable duo d’acteurs. Ardu et moins évidemment magistral que There Will Be Blood, le sixième long métrage de Paul Thomas Anderson n’en est pas moins un chef-d’oeuvre, inépuisable.
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