The Irishman de Scorsese: le temps des regrets

C'est un pur régal de retrouver Robert De Niro dirigé par Scorsese, même si le Truck Driver d'aujourd'hui n'a plus l'allant du Taxi Driver d'hier. © Niko Tavernise / NETFLIX
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Martin Scorsese signe une fresque mafieuse s’insinuant dans l’Histoire souterraine des États-Unis au XXe siècle. Robert De Niro et Al Pacino s’y montrent impériaux.

Signe des temps, c’est sous bannière Netflix que sort The Irishman, le nouveau et fort attendu film de Martin Scorsese, la plateforme de streaming ayant donné au maître new-yorkais les moyens que les studios lui refusaient -un temps associée au projet, la Paramount s’en est en effet retirée, effrayée par les proportions prises par le budget (1). Adapté du roman I Heard You Paint Houses de Charles Brandt, le film s’ouvre alors que la caméra s’insinue, d’un plan-séquence fluide, dans les couloirs d’une maison de repos, pour bientôt s’arrêter sur Frank « The Irishman » Sheeran (Robert De Niro, profil à la Benjamin Button pour les besoins du vieillissement). Et ce dernier, syndicaliste doublé d’un tueur à gages, d’entreprendre de raconter ses souvenirs, les flash-back s’enchâssant pour composer une vaste fresque embrassant l’Histoire du crime organisé aux États-Unis dans l’après-guerre, ses rouages comme ses ramifications multiples, rapports avec le monde politique inclus.

La Seconde Guerre mondiale, Sheeran l’avait passée sur le front italien, gardant une connaissance de la langue qui vaudra à celui qui n’était alors que chauffeur-livreur, et arnaqueur à ses heures, la sympathie de Russell Bufalino (Joe Pesci), parrain philadelphien dont il deviendra, accessoirement, l’exécuteur des basses oeuvres. Activité mafieuse ne l’empêchant pas de frayer avec du beau monde; jusqu’à Jimmy Hoffa (Al Pacino), le tout-puissant patron du syndicat des camionneurs, les Teamsters, avec qui il est bientôt à tu et à toi. À la suite de cet homme de l’ombre, le film plonge dans les méandres d’une Histoire parallèle des États-Unis. Une perspective envisagée sur quelques décennies, avec encore la dimension crépusculaire que cela suppose, questionnant la loyauté, les trahisons et les regrets, tout en actant l’écoulement inexorable du temps, avec ce sentiment, diffus mais irrépressible, qu’il ne nous a pas attendus, sans que l’on y puisse grand-chose…

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Scorsese gagne au Casino

Mené sans temps morts, The Irishman est un film dense où Martin Scorsese s’affiche tel qu’en lui-même, reproduisant les figures de son cinéma, mais aussi en veine « ellroyenne », petite et grande histoire apparaissant inextricablement liées tandis que défilent les chapitres du grand livre états-unien du XXe siècle -de l’assassinat de JFK à la disparition de Jimmy Hoffa. Le sujet est passionnant, Scorsese l’embrasse avec sa virtuosité coutumière, jonglant avec les époques comme avec le temps, au point que les 3 heure 30 de l’affaire semblent en faire beaucoup moins. Si le film ne surprend pas vraiment dans le chef du cinéaste de Goodfellas, Scorsese sait y apporter la manière, pour signer un thriller au classicisme haletant, non sans laisser l’émotion l’emporter sur une violence maintenue le plus souvent hors champ. Une oeuvre-bilan, en quelque sorte, à laquelle sa coloration rétrospective tient lieu de nerf sensible. Et un film aux allures de réunion de famille, qui aligne au générique les noms de Robert De Niro, Joe Pesci et Harvey Keitel, auquel est venu se joindre, pour le coup, Al Pacino.

Si le procédé de rajeunissement des visages laisse par endroits perplexe, Scorsese et ses comédiens réussissent, d’une façon générale, à le faire oublier. C’est, dès lors, pur régal de voir Robert De Niro renouer, pour leur neuvième collaboration, et même si le Truck Driver d’aujourd’hui n’a plus l’allant du Taxi Driver d’hier, avec un niveau et une intensité plus conformes à son talent, tandis que Al Pacino sort un grand numéro sous les traits de Jimmy Hoffa, flirtant avec le cabotinage sans s’y vautrer pour autant. Moins attendue, sans doute, qu’à l’époque de Heat, de Michael Mann, leur rencontre n’en produit pas moins des étincelles. Quant à Martin Scorsese, si The Irishman n’est peut-être pas le chef-d’oeuvre définitif annoncé, c’est en tout cas son meilleur film depuis Casino. Ce qui n’est déjà pas mal…

(1) Comme d’autres productions Netflix précédemment, The Irishman est brièvement exploité dans un circuit limité de salles, avant diffusion sur la plateforme à compter du 27 novembre. On ne saurait trop recommander de voir le film sur grand écran.

The Irishman, de Martin Scorsese. Avec Robert De Niro, Al Pacino, Joe Pesci. 3h29. Sortie: 13/11. ****

The Irishman de Scorsese: le temps des regrets

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content