SPÉCIAL COPPOLA | Au nom du père: Un thé au Sahara
Invité du Festival de Marrakech, le réalisateur du Parrain était en veine de confidences, balayant l’ensemble de son parcours avec l’enthousiasme du jeune cinéaste qu’il est redevenu depuis quelques années.
Lorsqu’il pénètre dans ce salon privé de l’hôtel La Mamounia, les images se bousculent. À commencer par celles du Parrain, qu’il évoque forcément, tandis qu’il s’installe en tête de table, non sans avoir eu, prévenant, une attention pour chacun. Avec Francis Ford Coppola, c’est -euphémisme!- tout un pan de l’histoire du cinéma qui défile; histoire toujours en cours, d’ailleurs, le réalisateur de The Conversation ayant retrouvé, à la faveur de Tetro, l’inspiration de ses meilleures années.
Libéré de toute pression, tournant désormais à sa guise -il vient, à 71 ans, de boucler le tournage d’un nouveau film, Twixt Now and Sunrise, financé, comme le précédent, par le produit de ses vignes-, Francis Coppola s’avère le plus charmant des interlocuteurs, n’éludant aucun sujet. C’est d’ailleurs autour du Parrain que s’engage la conversation…
The Godfather a orienté la suite de votre carrière. Avez-vous le moindre regret à cet égard?
Je n’ai pas de problème avec The Godfather, que je trouve très bien. Mais ce film a connu un tel succès -je lui dois une bonne partie de ma notoriété- qu’il m’a aussi détourné de la carrière que je souhaitais. Mon ambition était d’être un auteur, et de tourner des films comme The Rain People ou The Conversation, perspective qui a été complètement mise entre parenthèses par The Godfather. Et cela, je le regrette. Mais se retrouver soudainement dans la peau d’un réalisateur hollywoodien à 30 ans s’est révélé particulièrement intéressant. C’est quelque chose que je n’avais pas du tout anticipé.
Considérez-vous être un réalisateur plus aventureux aujourd’hui que par le passé?
Le risque ne m’a jamais effrayé. Le seul risque, à mes yeux, c’est d’éprouver des regrets au moment de quitter ce monde. J’ai toujours été un aventurier. Mais je me sens plus libre que jamais, et ce, depuis que j’ai compris que tourner avec un budget moindre était le garant de ma liberté. Je tourne désormais des films pour moins de 7 millions de dollars, que je suis à même de financer sans devoir demander l’aide de quiconque. Je ne puis imaginer de travailler encore pour quelqu’un qui me donne de l’argent.
Vous aviez à la fois l’argent et le pouvoir. Pourquoi vous a-t-il fallu si longtemps pour prendre la décision de revenir à une forme indépendante de cinéma?
Nul ne sait quand va commencer le troisième acte de son existence. J’ai consacré plusieurs années à une adaptation de Pinocchio dont j’avais écrit le scénario. Le tournage devait débuter en Angleterre, lorsque la Warner nous a intenté un procès, considérant en détenir les droits -ce qui, au passage, peut paraître curieux, Pinocchio étant dans le domaine public. Le procès a duré 2 ans, je l’ai gagné, et ils sont allés en appel. C’est là que j’ai réalisé être entré dans le troisième acte de ma vie, et que Pinocchio, c’était bien joli, mais beaucoup de gens pouvaient le faire aussi bien si pas mieux que moi.
Et ensuite?
Pendant 6 ans, j’ai alors travaillé au projet de mes rêves, Megalopolis, qui aurait été un film fort onéreux. La seconde équipe avait commencé à tourner lorsque s’est produite la tragédie du 11 septembre. Megalopolis était un film sur l’utopie, dont le sujet tenait en notre capacité à faire, enfin, un monde meilleur, où la créativité et les valeurs auxquelles aspire le genre humain seraient célébrées. Après le 11 septembre, cela paraissait hors de propos, et j’étais perdu. Je ne voyais pas comment terminer le scénario dans ce nouvel environnement, sans même parler du financement alors que je n’avais pas de star. Mon commerce de vin et mes hôtels rencontraient un succès croissant, et j’ai pensé à ma fille, à qui j’avais appris à tourner un film pour 2 ou 3 millions de dollars. Convaincu de pouvoir en faire autant, je suis parti tranquillement en Roumanie pour y tourner ce » premier » film, Youth Without Youth.
A propos de votre fille, tous vos enfants sont impliqués dans le cinéma. Que vous inspire cet atavisme singulier?
Je suis extrêmement fier d’eux. Ils ont grandi sur la route, ils étaient là, aux Philippines, pendant 2 ans (sur le tournage d’Apocalypse Now, ndlr). Chaque fois que j’entamais un tournage, je les retirais de l’école. Nous étions un peu comme une famille de cirque, où on apprend aux enfants les anneaux ou le trapèze.
Dans quelle mesure aidez-vous votre fille, Sofia, à faire ses propres films?
Au début, pour The Virgin Suicides et Lost in Translation, elle s’appuyait beaucoup sur moi. Maintenant, elle a confiance en elle et a sa propre manière d’envisager les choses, et donc, de moins en moins. Je continue à voir ses films à un stade précoce, mais plus aussi tôt qu’avant.
Vous avez déclaré qu’il était essentiel à vos yeux que le thème de vos films puisse tenir en un mot. Quel est-il pour Twixt Now and Sunrise, dont vous venez d’achever le tournage?
La perte. C’est un film intéressant et exotique, réminiscent du travail de mes débuts, auprès de Roger Corman. S’il est aussi personnel que n’importe quel autre, il est aussi assez gothique. Tout est parti d’un cauchemar que j’ai fait à Istanbul, l’an dernier, après une soirée où nous avions bu beaucoup de raki. Pendant que je faisais ce cauchemar, je me disais: c’est un don, merci, je tiens là une histoire dont je dois me souvenir. Mais au moment de la résolution, il y a eu l’appel à la prière, et je me suis réveillé. Je voulais me rendormir, pour connaître la fin -ce qui ne s’est pas produit, mais cela ne m’a pas empêché de consigner ce dont parlait le rêve, à partir de quoi j’ai écrit le scénario.
Qu’avez-vous appris de vos années auprès de Roger Corman?
Comment faire des films sur la base la plus simple qui soit. Il n’y avait là absolument rien de mystérieux, le tout était de ne pas dépenser d’argent.
Quelle est LA qualité que doit avoir un artiste, qui dispose par ailleurs des moyens de monter ses propres productions?
La confiance en soi. Un artiste doit toujours combattre son sentiment d’insuffisance. Il faut laisser aux choses le temps de mûrir un peu. Une scène ne fonctionne pas immédiatement? C’est comme mettre un gâteau au four, le retirer après une minute à peine, et ne pouvoir que constater qu’il est raté. Il faut être patient, et laisser chacun se rendre lentement à votre vision, quitte à y apporter des corrections. Il faut combattre le manque de confiance en donnant à la scène la chance de se solidifier.
Y a-t-il de jeunes cinéastes qui vous inspirent?
Il y en a de nombreux: Wes Anderson, David Russell, Alexander Payne, James Gray, Paul Thomas Anderson, Sofia, Spike Jonze -je pourrais en nommer tellement. Et d’autres, comme Steven Soderbergh –The Informant était le film de l’année. Vous savez comment je juge un film? Si je vais voir un film des frères Coen, et qu’en sortant, je me dis: « Je n’avais jamais rien vu de tel », alors, c’est bon. Le problème réside moins dans le talent que dans le système: les studios sont la propriété de sociétés de communication dont le souci principal est de faire des profits.
Que ressentez-vous à la disparition de gens que vous avez porté à l’écran, comme Marlon Brando ou Dennis Hopper?
Je n’envisage pas la mort comme la plupart d’entre nous, je pense que l’on peut faire de sa mort une victoire. Lorsque mon heure sera venue, je vais faire l’inventaire de ma vie, et constater combien elle a été intéressante: je me suis retrouvé dans le milieu du cinéma, j’ai eu une femme et des enfants formidables, qui ont eux aussi évolué dans le cinéma, j’ai perdu beaucoup d’argent, et j’en ai gagné beaucoup également, j’ai fait le commerce du vin… Le temps de répertorier tout cela, je ne remarquerai même pas que je suis mort, étant trop accaparé par toutes les choses intéressantes que j’aurai bien pu accomplir…
Jean-François Pluijgers, à Marrakech
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