Si c’était de l’amour, ode aux raves: « Les belles soirées, c’est quand le désir est dans l’air »

"Je voulais savoir où la compagnie allait m'emmener à travers la nuit", explique le réalisateur Patric Chiha.
Philippe Manche Journaliste

Avec le mélancolique et sensuel Si c’était de l’amour, Patric Chiha décline Crowd, le spectacle de la chorégraphe Gisèle Vienne, inspiré des raves des nineties. Sa caméra est autant une ode au désir qu’à l’abandon de soi. Rencontre et critique.

Pas besoin d’être un clubber invétéré pour savoir que la nuit en boîte permet de mettre sur pause un quotidien souvent gris et de s’abandonner, avec ou sans drogues, au son d’une musique qui tabasse. La chorégraphe et plasticienne franco-autrichienne Gisèle Vienne en a tiré Crowd, un spectacle de danse contemporaine transcendé par quinze comédiennes et comédiens, présenté à Bruxelles au Kaaitheater et inspiré par les années rave. Proche de la metteuse en scène qu’il rencontre voici une petite trentaine d’années dans un lycée international à Grenoble, le réalisateur Patric Chiha, lui aussi autrichien -il est né à Vienne en 1975 d’un père libanais et d’une mère hongroise-, se souvient de la première de Crowd, en 2017, où assis au premier rang, il est « saisi par la beauté de la pièce« .

« Il y avait quelque chose de très intime, d’universel, de mélancolique mais aussi d’euphorisant« , raconte le cinéaste rencontré récemment à Bruxelles dans le cadre du BRIFF, où Si c’était de l’amour était présenté sept mois après La Berlinale. « J’ai senti un désir physique à accompagner la pièce. Je voulais savoir où la compagnie allait m’emmener à travers la nuit. Je voulais me promener un peu avec eux, et le cinéma le permet. C’est comme dans cette scène de Mektoub, My Love: Canto Uno de Kechiche qui m’a beaucoup marqué où un oncle d’une cinquantaine d’années se jette dans la voiture avec les jeunes en disant: Emmenez-moi danser avec vous… Je m’identifie beaucoup à cet oncle même si je suis plus jeune que lui. »

Si c'était de l'amour, ode aux raves:

Éclats d’émotion

Patric Chiha, qui tournera normalement l’été prochain, à Bruxelles, une adaptation « assez libre » de la nouvelle d’Henry James La Bête dans la jungle, est donc parti en tournée avec Crowd. Si c’était de l’amour, son quatrième long métrage, s’articule autour de plusieurs facettes. On y suit le travail passionnant et précis de Gisèle Vienne, les quinze danseuses et danseurs en répétition et en live mais aussi des comédien(ne)s en permanente recherche filmé(e)s dans l’intimité d’une chambre d’hôtel au réveil ou dans une loge. Ceux-ci ont leur propre histoire. Un vécu imaginé et écrit par la chorégraphe et l’écrivain américain queercore Dennis Cooper.

Patric Chiha, auteur d’un bouleversant Brothers of the Night –sur la prostitution masculine à Vienne mais pas que-, n’a pas son pareil pour filmer les corps qui s’effleurent, se touchent, se rejettent et s’abandonnent. Idem pour le désir naissant et la tension sexuelle qui se dégagent de ces visages doux, vides ou plus sombres. « Souvent la danse au cinéma, c’est la belle main, le beau pied, la jambe qui s’envole ou la nuque, précise le cinéaste. Il y a une phrase de Paul Valéry qui m’aide beaucoup à comprendre ce que je fais et qui dit: « Le plus profond de l’homme, c’est la peau« . C’est ce qu’on atteint de plus profond avec la caméra. Croire à cette peau qui réfléchit le monde, c’est émouvant ce désir fluide et transversal. Les belles soirées, c’est quand le désir est dans l’air. Un désir qui, comme le dit Gisèle, est protéiforme. J’ai filmé la peau et cet espace vide bizarre qu’il y a entre nous. Ensuite, la question est de savoir comment on remplit ce vide… »

Si c'était de l'amour, ode aux raves:

« Par contre, poursuit le réalisateur, je tenais à ces moments d’échange avec les danseurs. Ce sont des improvisations à partir de la pièce, à partir de ce qu’ils vivent dans cet état que nous connaissons au petit matin lorsque la parole n’est pas encore complètement structurée. C’est comme une danse autour des mots, comme le lendemain d’une gueule de bois, mais on sent qu’il y a quelque chose comme de l’amour. D’où le titre. Peut-être qu’on parle d’amour. »

Lorsqu’on évoque avec Patric Chiha les films qui l’ont marqué, il se remémore le Paris Is Burning de Jennie Livingston « vu à quinze ans dans un festival gay et lesbien à Vienne« , tout comme Tristana de Buñuel « vu dans un cinéma de banlieue improbable avec les chaises qui grincent« . Avant de conclure: « S’il y a un film essentiel qui m’a aidé à faire Si c’était de l’amour même si ce n’est pas une inspiration directe, c’est Toute une nuit de Chantal Akerman, qu’elle a tourné au début des années 80 à Bruxelles. Au fond, il n’y a pas de narration mais des bribes; des éclats de nuit. J’aime bien la douceur d’Akerman, sa générosité et notamment le désir protéiforme, justement. Bruxelles est toujours au bord de l’orage. J’ai compris grâce à elle qu’il faut de la narration et je comprends les codes de films de genre mais l’émotion est au-delà de cela. Ce sont des éclats d’émotion qui s’émancipent de la narration. » Pas mieux…

Si c’était de l’amour

De Patric Chiha. Avec Gisèle Vienne, Vincent Dupuy, Henrietta Wallberg. 1H22. Sortie 16/09. ***

Si c'était de l'amour, ode aux raves:

Le réalisateur de Brothers of the Night est parti 20 jours en tournée avec Crowd, le spectacle de la chorégraphe Gisèle Vienne inspiré des raves des années 90. Le résultat est certes inégal mais pas moins passionnant et immersif car Si c’était l’amour est autant un film sur des acteurs en recherche que sur le travail du metteur en scène ou des danseuses et danseurs. Au spectateur de s’abandonner (ou pas) dans cette sorte de trip technoïde où il est question de désir, de tension sexuelle et d’abandon; le tout sur une lame de fond profondément mélancolique.

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