Réalisateurs de fanfilms: mais qui sont-ils? Et quels sont leurs réseaux?
Être fan. Bercés par la pop culture des années 80, ils réalisent avec un coeur gros comme ça leurs propres fanfilms, versions dérivées, et souvent fauchées, des franchises Batman, Star Wars, Dragon Ball Z ou Nicky Larson. Décryptage.
À l’autre bout du fil, Brandon, 25 ans, originaire de Thuin, près de Charleroi: « Je suis passionné de cinéma depuis toujours. De fil en aiguille, j’ai commencé à m’intéresser à la réalisation en pur autodidacte. En tournant d’abord avec mes jouets, puis avec des amis. Peu à peu, j’ai senti que les choses évoluaient et c’est ce qui m’a amené à faire des fanfilms, par pure passion pour certaines oeuvres. La vie est courte, autant toucher à ce qu’on aime. »
Comme son nom l’indique assez limpidement, un fanfilm est un film réalisé par un fan à partir d’une oeuvre qu’il apprécie tout particulièrement et dont il entreprend de prolonger l’univers et les personnages avec les moyens du bord. Brandon Gotto en a enquillé plusieurs ces dernières années: fanfilm Batman, fanfilm Halloween, fanfilm Indiana Jones… « La meilleure école, pour moi, sera toujours d’apprendre de ses erreurs et d’avancer. Ces fanfilms ne sont pas disponibles en VOD à cause de la question des droits d’auteur. On ne peut pas toucher d’argent sur ce genre de projets. À partir du moment où votre démarche est à but non lucratif, et donc purement ludique en quelque sorte, vous savez qu’on vous laissera tranquille juridiquement parlant. Ces films sont donc disponibles gratuitement sur YouTube. »
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Au four et au moulin, Brandon s’y multiplie à tous les postes: scénariste, réalisateur, acteur, monteur… Pour les voir, il suffit de taper « Brandon Gotto » + « Halloween » ou « Batman » ou « Indiana Jones » sur le célèbre site d’hébergement de vidéos. Il y a quelque chose d’assurément… étonnant à se replonger, par exemple, dans la mythologie carpenterienne coupée à l’accent carolo et à l’hémoglobine tomato ketchup. Mais, dépassant parfois la trentaine de minutes, lesdits films n’en forcent pas moins une certaine admiration, ne fût-ce que par le temps, l’énergie et la détermination qui ont été nécessaires à leur élaboration. Ces objets bricolés à la sueur et au système D, Brandon les réalise dans une grande fidélité à l’esprit des productions originales. Mais c’est aussi parfois l’occasion d’apporter un éclairage un peu plus personnel sur des oeuvres qui lui sont chères. « Le début des films est toujours très respectueux de l’univers de base, c’est très important pour moi. Mais après, j’aime quand même pouvoir proposer quelque chose d’inédit, voire de surprenant. Par exemple, dans mon projet Halloween, j’ai choisi d’inverser les rôles entre Michael Myers et le docteur Loomis. À la fin de mon fanfilm, c’est Loomis qui s’avère être le méchant, et Myers se transforme en espèce de sauveur. On prend plaisir aussi à jouer avec les codes ou à les renverser. »
Rêves profonds
Impliqué à plein temps dans ses projets, Brandon a créé sa propre petite maison de production indépendante, Deep Dreams, qui propose également des services dans le domaine de l’audiovisuel au sens large (vidéos d’entreprise ou autres films de commande). Il travaille avec une bande de collaborateurs récurrents composée d’une dizaine de personnes très motivées, dont sa compagne, la comédienne Margaux Colarusso, et son autre fidèle complice, un fringant quinqua hennuyer d’origine écossaise répondant au nom enchanteur de Raytan R.K. Rawling. Ensemble, ils viennent de signer un premier long métrage, L’Enfer n’est pas loin, projet à 100% original qui ne relève pas du fanfilm et est disponible en VOD sur le site de la boîte (brandongotto.wixsite.com/deepdreams).
Mais leur actualité la plus brûlante, c’est surtout la sortie prochaine de Rise of the Force, leur propre long métrage Star Wars, tourné entre La Panne, le fort de Saint- Héribert à Wépion et l’aérodrome de Spa. Le fanfilm devait connaître quelques avant-premières dans des cinémas locaux, à Tamines et La Louvière notamment, en ce mois de mai. Le coronavirus, évidemment, en a décidé autrement… « On espère désormais pouvoir montrer le film en septembre. Du coup, on en profite pour retourner certaines choses et revoir le montage. Une fois que le film aura été montré dans quelques salles, il sera disponible gratuitement sur YouTube. »
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En attendant, sa bande-annonce circule déjà sur la Toile (« Rise of the Force » + « Deep Dreams » sur YouTube). Elle comporte son lot peu négligeable de combats spatiaux et autres effets spéciaux. » Il existe une plateforme où des infographistes proposent des séquences qu’ils mettent eux-mêmes au point. Donc on va un peu à gauche et à droite pêcher ce qu’on peut, en fonction de nos moyens, pour finaliser ce qui est le plus compliqué à réaliser techniquement parlant. Le reste -combats au sabre laser, explosions…- est entièrement signé par nos soins. »
Budget total avancé pour le projet: 5.000 petits euros… « Disons aussi que le label Star Wars permet d’ouvrir certaines portes plus facilement. Les gens se montrent très emballés. C’est comme ça que nous avons par exemple obtenu la gracieuse autorisation de tourner au fort de Saint-Héribert. À Spa, un figurant a même négocié un petit sponsoring avec Spadel qui nous fournissait 100 bouteilles d’eau par jour de tournage. Les journées étaient longues, c’était vraiment bienvenu. »
À sa connaissance, Brandon est le seul à produire des fanfilms de cette ampleur en Belgique. « On a très vite réalisé que les Belges n’étaient pas très intéressés par la culture du fanfilm. Les Américains, par contre, en raffolent. Sans doute aussi parce que les franchises dont on s’inspire viennent de là-bas. On a beaucoup de retours sur le Web. C’est pour ça que j’ai fini par rajouter des sous-titres anglais sur mes anciens projets et que nous avons choisi de tourner Rise of the Force entièrement dans la langue de Shakespeare. C’est amusant… Quand tu t’attaques à un truc aussi gros que Star Wars, tes attentes sont démesurées. Du coup, forcément, il y a ce petit choc, un retour à la réalité qui te revient dans la tronche au début du tournage et qui fait que tu commences à douter: est-ce que c’était vraiment une bonne idée de se lancer dans un bazar de cette envergure? Mais, à l’arrivée, si tu y apportes ta touche et ton coeur, ça ne peut que bien se passer. »
À toute épreuve
Filip Wong, lui, est parisien et a 42 ans. Il lui a fallu pas moins de cinq années pour terminer son fanfilm Nicky Larson, titré City Hunter XYZ, qui vient d’être intégralement mis en ligne sur YouTube. Contacté via WhatsApp, il raconte: « Je suis issu de la génération X, la génération Récré A2 et Club Dorothée, qui a grandi avec des dessins animés importés du Japon. Des choses comme Albator ou Goldorak, par exemple. À la base, j’ai une formation en commerce international et en management. J’ai beaucoup travaillé à l’étranger dans le secteur du tourisme. Mais quand je suis rentré en France, j’ai intégré le secteur de l’audiovisuel. D’abord en tant que producteur de films institutionnels et de pubs digitales, puis je me suis mis à toucher à la réalisation. C’est à partir de là que j’ai commencé à envisager de me tourner vers la fiction. M’est alors venue l’idée de signer, en guise de carte de visite, un premier court dans l’univers de City Hunter, le manga popularisé par son adaptation en dessin animé sous le titre de Nicky Larson. J’y voyais un prétexte pour rendre hommage au héros de mon enfance. Étant d’origine asiatique, il était pour moi l’équivalent d’un James Bond dans mon panthéon. »
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Fan absolu du cinéma de John Woo, Wong se lance alors dans une aventure de longue haleine. À la seule force de son opiniâtreté. « Les premiers plans de City Hunter XYZ ont été tournés en 2014 au studio Dailymotion à Paris. On y avait accès gratuitement à des caméras et du matériel de cinéma, avec possibilité de tourner devant un fond vert ou de modeler des décors. Mais le studio a dû fermer suite à une violente explosion de gaz dans un immeuble voisin. Et tout a commencé à prendre beaucoup de temps. Quand on a des idées mais pas de fric derrière, les choses sont souvent compliquées à mettre en place. Il faut savoir que pour les 32 minutes que compte le film à l’arrivée, notre budget était d’à peine 800 euros. En outre, il a fallu composer avec les disponibilités des différents lieux de tournage, de l’équipe technique et des acteurs. Sachant que le comédien qui joue le rôle principal, Alexandre Nguyen, a dû à un moment s’expatrier pour sa carrière. Il a notamment joué un petit rôle dans Life, le film de science-fiction avec Jake Gyllenhaal et Ryan Reynolds. Quant à notre chorégraphe de combats, il s’est retrouvé à bosser sur le Valérian de Luc Besson pendant quasiment un an. Ça nous a obligés à faire de nombreuses pauses dans notre planning. Si bien que l’actrice qui joue l’esclave du cartel de drogue dans mon fanfilm a eu le temps de tomber enceinte deux fois entre le début et la fin du tournage. »
L’absence totale d’argent et un déroulé pour le moins chaotique n’ont cependant en rien entamé l’enthousiasme d’une équipe passionnée et soudée qui a fait bloc derrière Filip Wong, lequel est aujourd’hui un intermittent du spectacle multi- casquettes. « Pour la plupart, ce sont des amis. On était tous surmotivés à l’idée de donner vie à l’idole de notre jeunesse. On avait d’ailleurs des débats très animés sur le plateau. Certains étaient plutôt braqués sur le dessin animé. Ma vision à moi était plus noire, davantage raccord avec le tout premier tome du manga. J’aime l’idée d’imprégner mon travail de vraies valeurs, comme le sens de l’honneur, par exemple, qui est très important dans l’histoire d’origine. »
Au-delà de ses inévitables maladresses et éventuels ratés, City Hunter XYZ ne choisit pas la voie de la facilité. Le fanfilm s’ouvre en effet sur un plan-séquence empruntant sa géographie à une logique de jeu vidéo, multiplie les mouvements de caméras complexes et les plans difficiles, jongle avec plusieurs langues et un nombre conséquent de personnages. Le leitmotiv de Wong pourrait se résumer ainsi: ce n’est pas parce qu’on n’a pas de moyens qu’il ne faut pas avoir d’ambition. D’ailleurs, il va bientôt faire doubler son bébé en japonais afin de pouvoir l’envoyer à l’auteur de City Hunter. « Ce film, on l’a fait avant tout pour nous mais aussi pour faire plaisir aux fans. Ce serait vraiment génial que ça puisse remonter jusqu’à celui qui est à l’origine de tout cet univers. »
Aujourd’hui plus que jamais, ce passionné de culture pop veut faire son trou en tant que réalisateur. « Je suis en train de développer un pilote pour une série à soumettre à Canal+. Il s’agirait d’un thriller dans un univers cyberpunk. On croise les doigts. » Force & Honneur, oui.
Comme se plaît à le répéter Filip Wong: « Il y a fanfilm et fanfilm. » Certains évoquent une mauvaise blague qu’on aurait mieux fait d’éviter de tourner entre copains quand d’autres flirtent quasiment avec la qualité d’une production professionnelle. Parmi ces derniers, on trouve par exemple un très jusqu’au-boutiste Dragon Ball Z tourné en Normandie qui explose les compteurs de vues sur le Web. Ou un Power Rangers sulfureux avec l’acteur chouineur de la série Dawson, James Van Der Beek, qui a suscité bien des controverses. Des brouettes de fanfilms Star Trek, Harry Potter et autres dérivés de blockbusters de super-héros aussi. Certains ont droit à des prix dans des festivals dédiés. D’autres sont condamnés au mépris et à l’oubli. Côté romanciers ou cinéastes, beaucoup se disent favorables aux fanfictions s’inspirant de leurs oeuvres. C’est le cas de Stephenie Meyer (Twilight), de Neil Gaiman (Sandman) ou de Joss Whedon (Buffy), notamment. À l’inverse, George R. R. Martin, l’auteur de Game of Thrones, ne manque jamais de faire savoir qu’il est opposé à l’idée. On en connaît pourtant qui, avec de simples bouts de ficelle, seraient capables de tricoter un meilleur tomber de rideau sur Westeros qu’une certaine saga HBO…
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