Pierre Schoeller: « Le rôle des femmes a été primordial dans la Révolution française »

Laurent Lafitte en Louis XVI dans Un peuple et son roi. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Pierre Schoeller envisage la Révolution française côté peuple dans le bien nommé Un peuple et son roi, film choral à la fibre résolument féminine. Rencontre.

« Une anecdote: le premier jour de tournage du film, nous étions à Versailles, dans la galerie des Glaces, et j’ai dit à Julien Hirsch, qui s’occupe de l’image: « Regarde, il y a dix ans, nous étions dehors, en train de tourner le premier plan de Versailles. » Ces deux films se répondent en fait, il y a des résonances. » Déclinée en trois films –Versailles, en 2008, L’Exercice de l’État trois ans plus tard, et Un peuple et son roi aujourd’hui-, la cohérence de l’oeuvre de Pierre Schoeller n’est plus à souligner, la (question) politique en constituant le fil rouge. « Mais, relève-t-il , si L’Exercice de l’État était un thriller sur l’impuissance politique, et la faillite d’un modèle, je voulais cette fois voir une action politique en train de naître, de surgir, de se chercher, de se définir, de s’inventer. » Et la Révolution française de s’imposer, avec l’évidence d’un retour aux sources.

Dans l’intimité du XVIIIe siècle

Des films sur cette période cruciale, il y en a eu plusieurs, le spectre allant de La Marseillaise, de Jean Renoir, à L’Anglaise et le Duc, d’Eric Rohmer. Schoeller envisage les faits sous un jour inédit, plaçant sa caméra côté peuple pour s’immerger dans l’époque de la prise de la Bastille, en 1789, à la mort de Louis XVI, en 1793: « La Révolution française se déroule sur sept années, et est riche en événements, en interprétations et en bouleversements, explique-t-il. Au cinéma, on a soit un film officiel, qui essaie de faire toute l’histoire de la Révolution en deux parties (La Révolution française de Robert Enrico et Richard T. Heffron, en 1989, NDLR), soit des films qui s’attachent à un personnage, comme Marie-Antoinette. Mais il n’y a pas de film sur le peuple, sinon peut-être La Marseillaise de Renoir. Et après, il y a beaucoup de films qui prennent la Révolution pour parler indirectement de l’époque actuelle, comme le Danton de Wajda, qui parle plus de la Pologne que de la France. Mon intention était d’emmener les spectateurs vers une terre étrangère, dans l’intimité du XVIIIe siècle, sans vouloir parler d’aujourd’hui. J’avais l’idée d’une étoile un peu morte dont on allait chercher le rayonnement: la Révolution française a cela de passionnant et de mystérieux que son rayonnement est très fort, et qu’on le perçoit encore aujourd’hui. Cela reste un questionnement politique, quelque chose qui peut effrayer et qui a été revisité par l’histoire soviétique comme par les révolutions du monde arabe… Mais ce qui m’intéressait, c’était vraiment la Révolution française, remonter aux fondations, et filmer ces personnages, ces jeunes femmes, cette sensualité, la diversité des visages, et du courage. »

Pierre Schoeller:

Manière, au passage, de donner un ancrage résolument humain à l’Histoire en train de s’écrire, les enjeux se cristallisant au sein de l’Assemblée nationale où se croisent les uns et les autres, figures populaires comme historiques, de Marat à Robespierre. Si l’on assiste là au surgissement de la République, la force du film tient au fait qu’il s’écarte de la seule leçon d’Histoire. « Je voulais un film simple, qui étonne, qui chante aussi, poursuit Pierre Schoeller. J’ai choisi de ne pas adopter la forme du roman du XIXe siècle à la Victor Hugo, mais bien un langage romanesque appartenant au peuple, et fait de chansons, comme un opéra composé de tableaux vivants. Les chansons étaient une manière de parler de politique, de s’exprimer, de se moquer du roi, de célébrer la conquête de la Bastille ou de s’encourager. La chanson unifie tout le monde. Et cela correspond à mon envie de ré-enchanter le cinéma autrement de film en film. » Que cette parole soit largement portée par des femmes n’a évidemment rien d’anodin: « Ce n’est pas une déformation de mon oeil, sourit-il. Le rôle des femmes est primordial parce qu’elles ont été importantes à des moments précis: la marche des femmes est aussi décisive que la prise de la Bastille, parce qu’elle fait passer le siège du pouvoir politique à Paris, et cela permet à tout le monde d’assister aux débats, cela change tout. Les femmes sont présentes à l’Assemblée -elles ont une sensibilité sociale et politique parce qu’elles sont exposées tous les jours à la famine, aux inégalités domestiques… Je ne dis pas que la Révolution était un mouvement féministe, mais à partir du moment où il y a le peuple, les femmes et les enfants sont là. »

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