Peter Greenaway: « Vous n’avez jamais vu de film! »

© Imageglobe

Président du jury du Brussels Film Festival, Peter Greenaway donnait une master class passionnante ce mardi. Rencontre avec un grand du cinéma.

Il garde une grande prestance, Peter Greenaway. Et il parade élégamment sur la scène d’un Studio 1 de Flagey bien garni. La « master class » donnée par l’artiste britannique dans le cadre du Brussels Film Festival commence sur un mode stimulant, même si pas forcément optimiste pour les cinéphiles rassemblés devant lui. « Je m’en vais vous divertir, mais aussi vous provoquer en vous parlant de la fin du cinéma », annonce avec un sourire en coin le réalisateur des mémorables The Falls, The Draughtsman’s Contract, The Belly of an Architect et The Cook, The Thief, His Wife and Her Lover. Pour Greenaway, évoquer « la mort graduelle de l’expérience cinématographique » n’est pas forcément source de tristesse, ni même de mélancolie. « Ce qui vient après est toujours plus intéressant! », clame celui dont l’aura dans les festivals internationaux consacrés au 7e art a considérablement pâli depuis la fin des années 1990. Certaines méchantes langues en tireront la conclusion un peu hâtive que les critiques acérées adressées au cinéma par le très intelligent Anglais sont liées à l’amertume personnelle qu’il a pu tirer d’une reconnaissance en berne. Mais cela fait longtemps déjà que Greenaway lance ses flèches empoisonnées vers l’écran, et qu’il se revendique d’une approche expérimentale qui lui vaut par ailleurs une grande reconnaissance dans les cénacles muséaux et avant-gardistes. Peintre de formation, il regrette que nous soyons « pour la plupart des analphabètes visuels », faute d’une éducation aux choses de la forme et du regard. « Tout est basé sur le texte et sur le texte seulement », dénonce-t-il en s’appuyant sur les réflexions d’Umberto Eco. « Regardez les plus considérables succès populaires du cinéma des dernières années: Lord Of The Rings et Harry Potter. L’un comme l’autre sont des adaptations de textes littéraires, et qui plus est de romans attachant une importance cruciale aux textes et à leur décryptage! »

A mort les scénaristes!

« Vous n’avez jamais vu de film! Vous n’avez jamais vu (à 99,9999%) que du texte illustré! », lance un Peter Greenaway décidément d’humeur provocatrice, et qui ajoute, radical: « Il faudrait aligner les scénaristes contre un mur et tous les abattre… » L’homme jouit de l’effet produit par sa formule expéditive. L’humour, ça le connaît. Mais il redevient vite sérieux pour déplorer que « le cinéma n’ait jamais vraiment trouvé son autonomie, sa spécificité. » Il aimerait bien pouvoir « aller voir les producteurs avec quatre tableaux, 8 lithographies et un carnet de dessins », mais sait bien qu’il n’obtiendra rien sans un script écrit, que le film illustrera ensuite. « Illustration est un mot dégueulasse, pour moi! » renchérit celui qui pose plusieurs exigences appelées à renverser autant de « tyrannies ». « Il faut se débarrasser de la narration, se débarrasser aussi du cadre, cet artifice rectangulaire né dans la peinture au XIVe siècle et qui a été copié de la peinture au théâtre, puis du théâtre au cinéma, sans qu’il corresponde à rien: on ne trouve pas de rectangle dans la nature… Il faut déconstruire, exploser le cadre! » Et Greenaway d’exalter les alternatives technologiques se développant avec l’Imax, l’Omnimax, entre autre.

« Il faut encore se débarrasser des acteurs (ces gens tous entraînés à faire semblant de ne pas être regardés…) et enfin de la caméra, cet objet d’une remarquable stupidité! » Picasso disait « Je ne peins pas ce que je vois, je peins ce que je pense », or « la caméra ne pense pas. » Peter Greenaway énonce la conclusion de son cruel bilan: « En 117 ans (depuis l’invention du cinématographe Lumière), nous n’avons vécu qu’un prologue, il s’agit à présent d’expérimenter! » A l’appui de sa thèse, il cite le « machinema » (des films entièrement réalisés dans le cyber-espace), et ses propres expériences en écrans multiples, combinant temps réel et espace réel autour d’un artiste créant en direct, un « V.J. » (Video Jockey) comme il y a des D.J. Une société de Rotterdam lui a fabriqué un énorme écran tactile sur lequel il peut jouer des milliers de « loops » (boucles) visuels qu’il a déjà en stock…

Louis Danvers

Brussels Film Festival, du 8 au 16 juin à Flagey et Bozar, Bruxelles
www.brff.be

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content