Oliver Stone, rêveur né

Oliver Stone: "Combien de fois m'a-t-on dit que j'étais incapable de réaliser? "
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Le réalisateur de JFK et Wall Street revient, dans une riche autobiographie, sur les 40 premières années d’une existence mouvementée, l’ayant conduit du bourbier du Viêtnam à Hollywood, équipée ponctuée par le triomphe inattendu de Platoon.

« Ma mère était le réalisateur en moi, et mon père l’auteur« , nous confiait récemment Oliver Stone au festival Lumière à Lyon, où il était venu présenter son autobiographie, À la recherche de la lumière. Un livre à l’image de son cinéma, touffu, fougueux, puissant et volontiers excessif; passionnant, également, l’histoire de Stone se confondant avec celle d’Hollywood bien sûr, où, triomphes ou échecs, il est toujours resté un outsider. Mais aussi avec celle de l’Amérique, dont il s’est posé, dès Salvador et Platoon, ses premiers succès de cinéaste au mitan des années 80, comme l’expression de la mauvaise conscience. Disposition qui ne devait plus l’abandonner par la suite, de Wall Street en JFK, de Natural Born Killers en Snowden, sans même parler des documentaires auxquels il se consacre désormais quand il ne laisse pas libre cours à ses talents d’écrivain.

Sa vision du monde, Stone raconte qu’elle s’est forgée sur les mensonges: la séparation de ses parents en premier, cette mère française et ce père américain (ils s’étaient rencontrés à Paris à la fin de la Seconde Guerre mondiale) auxquels il réserve une place de choix dans ces mémoires, dont le divorce va précipiter, à quinze ans, la fin d’une enfance new-yorkaise « de rêve« . Le Viêtnam ensuite où, abandonnant Yale et après un premier essai de roman snobé par les éditeurs (1), il décide de s’engager en 1967 comme fantassin. « Je me souviens du choc ressenti quand mes parents ont divorcé: je n’avais pas le moindre soupçon de cette séparation. Et ça m’a choqué, parce qu’ils m’avaient menti, même si c’était pour me protéger. Je me suis ensuite porté volontaire au Viêtnam pour diverses raisons, mais cette guerre n’était qu’un vaste mensonge: on nous a menti sur son objet, sur ses causes, et en nous serinant que nous étions en train de la gagner, alors que nous savions pertinemment que c’était faux. À mon retour, j’ai commencé à réfléchir à l’assassinat de JFK, en 1963, entre le divorce de mes parents et le Viêtnam, ce qui s’est produit ce jour-là est choquant. On a voulu voir en moi un « conspirationniste » ou que sais-je, mais l’essentiel est que tout ça n’était qu’un immense mensonge. Les mensonges ont forgé mon caractère et m’ont poussé à chercher la vérité, à me lancer à la recherche de la lumière« , nous expliquait-il encore.

Oliver Stone, rêveur né
© GETTY IMAGES

Nature provocatrice

À cet égard, cet ouvrage témoigne, entre autres choses, d’une (relative) sérénité retrouvée. Pas une mince affaire, si l’on considère que c’est surtout la rage qui semble avoir animé Stone pendant de longues années, et qui donne à ces pages une saveur et une tonalité toutes particulières. Ainsi, dès l’introduction, une scène survoltée empruntée au tournage de Salvador, où James Woods en prend pour son grade -les deux hommes finiront bons amis-, et que l’auteur ponctue sur une longue tirade en forme de profession de foi: « Nous continuons donc à tourner notre bataille, un plan après l’autre. La tête dans le guidon, je n’ai qu’un seul objectif: finir ce film. J’ai pris tant de risques. Combien de fois m’a-t-on dit que j’étais incapable de réaliser? Deux de mes films se sont soldés par des échecs. J’aurai bientôt 40 ans. Depuis mes 23 ans, j’essaie par tous les moyens de réaliser un film qui serait vraiment le mien. J’ai écrit plus de 20 scénarios à cette époque, mais c’est sur ce projet que tout se jouera. Je n’avais pas le soutien d’Hollywood, personne là-bas ne croyait qu’un film sur « un pays de merde » comme le Salvador pouvait intéresser le public américain, encore moins un film qui ne faisait pas mystère de ses sympathies pour la cause révolutionnaire. À leurs yeux, à 40 ans, j’étais déjà fini, rincé. Et je savais tout cela. Je m’étais fait trop d’ennemis, j’avais brûlé les ponts avec trop de gens, à cause de ma nature provocatrice. »

Ou Oliver Stone tel qu’en lui-même, dont le parcours s’est forgé dans une adversité dont il aura su s’accommoder -le genre à écrire, au coeur de l’horreur du Viêtnam: « Les soldats avaient beau qualifier ça d’enfer, pour moi, c’était un lieu tout simplement divin. Être spectateur de cette indicible puissance destructrice et y survivre, c’était s’approcher au plus près du Saint-Esprit« . Quand il ne se chargeait pas de s’auto-saborder -ainsi, lors d’une soirée des Golden Globes où, consacré pour son travail d’adaptation pour Midnight Express d’Alan Parker, en 1979, il se présente sur scène carbonisé à la coke, aux Quaaludes et à l’alcool, foirant la fête dans les grandes largeurs, à la fureur même pas contenue du réalisateur. Une anecdote parmi beaucoup d’autres, guère moins perchées, qu’il s’agisse d’une rencontre avec des trafiquants colombiens dans un hôtel de Miami lors de la préparation du scénario de Scarface de Brian De Palma, ou des repérages sous influence pour Salvador en compagnie de Richard Boyle, le journaliste dont était inspirée l’histoire.

Oliver Stone, rêveur né

Adoubé par Martin Scorsese

Mais si À la recherche de la lumière est forcément le récit de ses démêlés, parfois hauts en couleur, avec Hollywood, que ce soit comme scénariste (de Conan le barbare à L’Année du dragon) ou comme réalisateur (ses deux premiers films, Seizure et The Hand, seront des flops retentissants), sans même parler des projets avortés, ce livre raconte aussi une quête opiniâtre entamée à la School of Arts de la New York University à son retour du Viêtnam. École de cinéma dont l’un des professeurs, le tout jeune Martin Scorsese, saura trouver les mots à même de libérer un talent encore mal dégrossi, décrétant à la découverte de son court métrage Last Year in Viet Nam: « Eh bien, voilà ce qu’on appelle un cinéaste. Pourquoi? Parce que c’est personnel. On a l’impression que la personne qui a fait ça l’a vécu. Voilà pourquoi il faut toujours que le sujet vous colle à la peau, qu’il vous appartienne« . Un conseil dont Oliver Stone saura faire bon usage, poursuivant, film après film, une vision toute personnelle.

Ainsi, bien sûr, dans Platoon, directement inspiré de son expérience au Viêtnam et, partant, film sans véritable équivalent, qui lui vaudra la reconnaissance hollywoodienne, assortie des Oscars les plus prestigieux (meilleur film et meilleur réalisateur), mais aussi d’avoir réussi, à 40 ans, « à dépasser l’horizon de mes attentes dans le domaine que je m’étais choisi« . Soit, après l’accueil favorable réservé quelques mois plus tôt à Salvador, une acmé provisoire mais pas un aboutissement pour autant. Entre des rencontres avec Billy Wilder et un échange avec Marlon Brando, cette somme ne manque d’ailleurs pas d’évoquer déjà le futur Wall Street, inspiré par son père, un financier « mâché par le capitalisme« , et pour lequel Warren Beatty et Tom Cruise furent un temps pressentis. « La possibilité est un puissant aphrodisiaque« , conclut joliment Oliver Stone, rêveur né devant l’éternel dont l’on brûle de lire un jour la suite qu’il donnera à cette magistrale autobiographie.

(1) Le roman autobiographique, revu par Oliver Stone, sera publié 30 ans plus tard, en 1997, sous le titre A Child’s Night Dream, traduit par Rêveur né en français.

À la recherche de la lumière, d’Oliver Stone, éditions de l’Observatoire, traduit de l’anglais (États-Unis) par Diniz Galhos, 480 pages. ****

Écrits de cinéastes

Avec À la recherche de la lumière, Oliver Stone s’inscrit dans une lignée féconde, celle des réalisateurs s’étant aventurés sur le terrain de l’autobiographie, genre littéraire pratiqué aussi bien par les pionniers que par les cinéastes contemporains, par Buster Keaton, auteur de La Mécanique du rire, que par Woody Allen, pour le récent Soit dit en passant. Sélection subjective.

Un demi-siècle à Hollywood par Raoul Walsh

Oliver Stone, rêveur né

À l’instar d’Errol Flynn, qu’il fit tourner dans des classiques comme La Charge fantastique ou Objective, Burma!, Raoul Walsh devait mener une existence « bigger than life », relatée dans ses mémoires, convoquant aussi bien Pancho Villa que D.W. Griffith. Ou comment faire revivre un Hollywood oublié au fil d’aventures sur lesquelles plane un parfum de légende -maître incontesté du cinéma d’action, le borgne le plus célèbre d’Hollywood (il avait perdu un oeil sur le tournage de In Old Arizona) était aussi un excellent conteur en effet.

Comment j’ai fait 100 films sans jamais perdre un centime par Roger Corman

Oliver Stone, rêveur né

Pape du film fauché, réalisateur de dizaines de films de série B et producteur de centaines d’autres, cinéaste farouchement indépendant doublé d’un dénicheur de talents hors pair (il a lancé les Coppola, Dante, Bogdanovich ou autre Nicholson, liste non exhaustive), Roger Corman consignait, en 1990, ses souvenirs dans une autobiographie haute en couleur nourrie d’anecdotes innombrables, How I Made a Hundred Movies in Hollywood and Never Lost a Dime. Soit quelque chose comme le manuel improbable d’un Hollywood dissident…

Laterna magica par Ingmar Bergman

Oliver Stone, rêveur né

Pas une autobiographie à proprement parler, Laterna magica voyait Ingmar Bergman se livrer à une réflexion sur l’existence, le temps de « confessions » portant un regard sans complaisance sur sa vie tout en éclairant son oeuvre, théâtrale comme cinématographique, d’un jour singulier. Soit, remontant encore le fil de l’enfance, une introspection dense (qu’allait suivre une analyse de ses films, Images) ponctuée sur une citation empruntée au journal de la mère du maître suédois: « Je prie Dieu sans confiance. Il faudra, sans doute, se débrouiller tout seul, comme on pourra. »

Aventures par John Boorman

Oliver Stone, rêveur né

Auteur, aux côtés de classiques comme Point Blank ou Deliverance, de deux films autobiographiques, Hope and Glory et Queen and Country, John Boorman en propose le prolongement écrit dans Aventures. Soit le récit, particulièrement inspiré, d’un parcours en dents de scie, relevé des réflexions d’un homme imprégné de pensée jungienne, l’auteur ne se départant ni de son esprit ni de sa lucidité à l’heure d’évoquer une aventure cinématographique pavée d’anecdotes irrésistibles.

Friedkin Connection par William Friedkin

Oliver Stone, rêveur né

Réalisateur de French Connection, The Exorcist ou autre Killer Joe, William Friedkin s’est taillé, au fil des ans, une réputation de fou furieux. Impression que ne contredisent certes pas ces mémoires à sa démesure, relatant, en mode fiévreux, ses multiples vies de cinéma. Friedkin a, en effet, la faculté de ne cesser, tel le phénix, de renaître de ses cendres. Et de conclure: « Je n’ai pas fait mon Citizen Kane, mais il me reste du travail à faire. Il est possible que j’échoue encore. Peut-être que la prochaine fois j’échouerai mieux. »

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