Notre rencontre avec Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri pour leur dernier film en duo

Même s'ils ne vivent plus ensemble, Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui affichent une complicité intacte. © SDP
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri reviennent avec un savoureux Place publique. Bonne nouvelle: la comédie humaine leur va toujours si bien.

Leur surnom de « Jabac », c’est au grand cinéaste Alain Resnais qu’ils le doivent. Ils avaient écrit pour lui les scénarios de Smoking/No Smoking et On connaît la chanson dans les années 1990, tout en cosignant aussi les scripts – adaptés de leurs pièces – de Cuisine et dépendances (réalisé par Philippe Muyl) et Un air de famille (réalisé par Cédric Klapisch). Quatre films pleins d’esprit, de drôlerie et de justesse humaine, et une formidable rampe de lancement pour un tandem qui partageait vie réelle et fictions de théâtre et de cinéma. Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri pouvaient désormais voler de leurs propres ailes, avec les deux à l’écriture et devant la caméra, et Agnès à la mise en scène. Le Goût des autres, Comme une image, Parlez-moi de la pluie et Au bout du compte se succédèrent avec, à chaque fois, une distance de quatre ou cinq ans. Place publique (lire aussi notre critique), qui sort aujourd’hui, respecte ce rythme raisonnable, qui offre à l’une comme à l’autre le temps nécessaire pour leurs trajectoires d’acteurs par ailleurs. Ce film choral aux fortes résonances sociales et culturelles met en scène une pendaison de crémaillère et ses invités, au nombre desquels un célèbre animateur d’émission de télévision en perte de vitesse, joué par Bacri, et son ex-femme, interprétée par Jaoui. L’art de la comédie humaine, tantôt hilarante et tantôt mélancolique, trouve une nouvelle expression savoureuse dans ce spectacle intelligent où sont épinglés, notamment, les dérives de la notoriété, le pouvoir des réseaux sociaux, les différences de classes et le déclin.

Déshérence capillaire

Agnès et Jean-Pierre ne vivent plus ensemble. Mais leur complicité s’affiche toujours aussi grande, en interview comme à l’écriture et dans le jeu. Leurs films naissent de désirs et d’envies autant, si pas plus, que de grandes idées. « Dès hier, j’ai dit à Jean-Pierre: « Tu sais, pour le prochain film, j’aimerais bien… », commence Jaoui alors qu’on les rencontre en duo, et c’est toujours comme ça que ça se passe. En fait, c’est un travail en gestation depuis trente ans qu’on se connaît. Au départ de Place publique, il y avait par exemple le fait que nous voulions depuis longtemps voir Jean-Pierre avec une perruque. Apprendre que Woody Allen se faisait faire des implants m’a ouvert un abîme! » Bacri, en déshérence capillaire assumée, enchaîne pour souligner l’intérêt « qu’un personnage en apparence libre et indépendant d’esprit puisse être suffisamment traumatisé par la perte de ses cheveux pour pouvoir recourir à une perruque ».

Mu0026#xEA;me un personnage abject reste un u0026#xEA;tre humain!

Cet après-midi-là, en réponse aux questions, les interventions du tandem se chevauchent parfois. On les imagine facilement en pleine tempête de cerveaux, dialoguant avec fièvre du film qu’ils écrivent. « Il y a des thèmes, des sujets, qui nous intéressent depuis toujours, reprend Agnès, comme le politiquement correct sur lequel nous reviendrons très probablement, mais aussi d’autres qu’on ne sait pas trop comment prendre et qui finiront bien par être dans un de nos films, si on trouve le bon angle pour en parler. » Leur travail reflète si souvent et si bien l’air du temps. C’est encore le cas dans Place publique, où ils raillent le consentement quasi général à la « dictature » façon Big Brother des réseaux sociaux. Un film qui sort en pleine tourmente autour des abus commis via et par Facebook… « On ne se dit pas qu’on va capter l’air du temps, réagit Jaoui, c’est juste qu’on vit les choses, comme vous tous, des nouveautés technologiques à la gauche qui s’écroule en passant par la montée des populismes. On vit, quoi! Et on a envie d’en parler. Maintenant, à chaque fois, puisqu’on peut mettre cinq ans pour faire un film, j’ai peur qu’on soit dépassés au moment de la sortie. Mais non, c’est toujours bon, sans doute parce qu’on passe avant toute chose par l’humain. »

Fibre sociale

L’humain, au centre de tout et jamais plus palpable que dans ce petit chef-d’oeuvre qu’était Le Goût des autres. Presque vingt ans après ce qui reste à ce jour leur plus grand succès public et critique, les deux gardent cette priorité exprimée par Bacri: « Faire que jusqu’au plus petit rôle, chaque personnage soit incarné, soit vrai, existe. C’est notre plus grand souhait. »

« C’est un peu comme quand vous allez au restaurant, exemplifie Jaoui: il y a des gens qui n’accordent aucune attention au serveur, qui fait partie du décor, qui est juste là pour servir. Ces gens-là font un certain type de cinéma… qui n’est pas le nôtre. Nous, on aime bien regarder les gens, nous mettre à leur place, imaginer ce qu’ils peuvent ressentir. On n’est pas mère Teresa mais on aura toujours de l’empathie… » Et Bacri de ponctuer: « Même un personnage abject reste un être humain! »

Ceux-là n’auront donc jamais le dégoût des autres, dont les aventures en solo ne trahissent pas le cheminement commun. Pour preuve leurs interprétations récentes dans Le Sens de la fête (pour lui) et Aurore (pour elle), deux films très différents mais partageant un esprit solidaire et une grande sensibilité sociale. « Depuis les tout débuts, reprend Jean-Pierre Bacri, depuis Cuisine et dépendances, on ne peut pas se passer d’écrire sur le pouvoir, sur le plus fort et le plus faible, sur l’abus du plus fort, sur la servitude volontaire du plus faible, sur la difficulté de changer, de s’affranchir des normes… Cette fois s’est rajouté le sujet du vieillissement, et aussi du déclin, que le film traite par la métaphore. Agnès et moi on s’est connus voici trente ans. Elle avait 22 ans et j’en avais 35. Aujourd’hui, j’en ai 65, nous vivons cette aventure d’être exilés de la jeunesse. Alors on met des mots là-dessus, c’est comme une thérapie finalement. » Et de sortir son… téléphone portable pour y extraire de ses notes une admirable citation tirée du Macbeth de Shakespeare: « Donnez des mots à la douleur. Le chagrin qui se tait murmure au coeur de se rompre. »

Tombant sur une autre pensée dans ses notes, il éclate de rire. « C’est Mirabeau qui parle de Robespierre et qui lâche: « Il ira loin, il croit tout ce qu’il dit »… » Agnès Jaoui fait immédiatement le lien avec Emmanuel Macron. L’air du temps, toujours… Et cette proximité de l’émotion et du rire qui marque tant les films du tandem. Des films qui sont comme une conversation avec le public, s’interrompant quelques années pour reprendre à chaque nouveau film là où on l’avait quittée.

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