Matthias Schoenaerts dans le grand bain
L’acteur anversois marche sur les traces d’Alain Delon dans A Bigger Splash, de Luca Guadagnino, un remake anglo-saxon de La Piscine où il peaufine son profil international, en toute zénitude.
Anvers, début mars. Matthias Schoenaerts aligne les entretiens dans un hôtel discret de la vieille ville, respectant un planning serré sans trahir le moindre signe de lassitude, sourire et poignée de main à l’avenant: francs. La raison de cette effervescence, c’est la sortie prochaine de A Bigger Splash, le nouveau film de Luca Guadagnino, le réalisateur de Io Sono l’Amore; un remake anglo-saxon de La Piscine où il reprend le rôle dévolu autrefois à Alain Delon. Comparaison n’est pas raison, et le rappel a le don de beaucoup l’amuser, lui qui n’a pas vu l’original –« je ne voulais pas, pour ne pas être influencé et rester libre »– et précise, à toutes fins utiles, ne pas avoir envisagé les choses sous cet angle: « Alain Delon, c’est Alain Delon. On ne touche pas à Alain Delon. Et comme le film est une réinterprétation, je n’ai pas senti cet héritage. »
Si entre l’acteur français et Romy Schneider circulait une énergie sensuelle, Schoenaerts impose, face à Tilda Swinton, une présence physique aux aspérités rentrées. Soit un personnage en phase de reconstruction, dont il observe: « Tout le monde peut se reconnaître dans le fait que, de temps en temps, on s’est épuisé dans la vie, on est allé trop loin et on a besoin de se reconstruire, de retrouver la paix, de se remettre en question pour trouver un nouveau souffle. J’ai pu me reconnaître en lui à ce niveau. » Et de se fondre dans la joute intime au coeur du film, ballet de passions contrariées que chorégraphie Guadagnino sous les vents violents de l’île de Pantelleria, un cadre tout sauf anodin, dès lors qu’il adosse le propos à la question des migrants. « Le problème des réfugiés, on le connaît depuis une vingtaine d’années déjà, mais il a explosé il y a quelques mois. Il résonne donc maintenant de façon différente dans le film, et bien sûr que cela m’interpelle. Si je fais des choix politiques? Même si on ne parle pas de politique, je pense que tout ce qu’on fait, en tant qu’artiste et en tant qu’être humain l’est. Dire bonjour à quelqu’un est déjà un acte politique, dans ma perception tout au moins. L’important, pour moi, est de poser des choix qui aient quelque chose à dire sur les rapports humains, et le fassent avec profondeur. Et dont le propos soit surprenant, et puisse changer ma perspective… Peut-être qu’à la base, je suis un moraliste (rires). J’espère que non, mais je trouve cela important. Même si ce sont des choses dont on ne doit pas trop parler, et qui doivent se révéler à travers le travail. »
Rester en mouvement
Proposant un profil inédit de l’acteur, A Bigger Splash ponctue une période faste pour Schoenaerts, successivement à l’affiche de Far From the Madding Crowd, de Thomas Vinterberg, Maryland, d’Alice Winocour, A Little Chaos, d’Alan Rickman, et Danish Girl, de Tom Hooper. De quoi, si besoin en était, conforter son statut de star internationale. « Je suis très reconnaissant pour la carrière que je peux avoir. Rundskop m’a ouvert la porte, et De rouille et d’os, c’était l’ascenseur. Qu’est-ce qu’on peut faire après? Sauter du bâtiment? » (rires) Ou simplement choisir le bon étage, ce en quoi il est, à l’évidence, passé maître, sans en tirer, au demeurant, de vanité apparente. « Ce qui compte à mes yeux, c’est de rester en mouvement, physiquement, mentalement, ou les deux. Faire des expériences à l’étranger y participe, c’est la seule façon de se développer. Après, je me remets en question en tant qu’artiste, mais je ne regarde pas trop mon parcours. J’ai une philosophie toute simple, qui est d’être où l’on est, au sens spirituel. Je suis ici, maintenant, qu’est-ce que je fais, ici et maintenant? C’est mon prochain film qui compte. »
Une forme de « zénitude » qu’il accompagne d’un instinct très sûr. Avisé, Schoenaerts a ainsi veillé, ces derniers mois, à varier ses effets. On le craignait voué au « typecasting », lui qui alignait les rôles essentiellement physiques et musclés, de Rundskop en Blood Ties en passant par De rouille et d’os.Il n’a pas attendu A Bigger Splash pour élargir sensiblement sa palette, trouvant par exemple, devant la caméra de Thomas Vinterberg, pour Far from the Madding Crowd, un emploi romantique, bientôt suivi par d’autres. Rien de prémédité pour autant, à l’en croire: « J’avais envie de faire des drames historiques, et de rentrer dans un autre univers cinématographique. C’est cela, le mouvement: rester curieux, partir à la découverte. En se confrontant à des univers différents, on peut se redécouvrir, se redéfinir et apprendre… »
Batman vs. Roskam
Une disposition qui ne lui a pas trop mal réussi. A tel point que, désormais courtisé des deux côtés de l’Atlantique, Schoenaerts peut se permettre de décliner le rôle de Batman dans Batman vs. Superman. Non, du reste, qu’il s’en gargarise: « J’ai été perturbé par le fait que si je disais oui, je disais oui à trois films, chacun prenant sept mois de tournage. Et ça, ça m’a fait flipper. C’était une opportunité magnifique, mais ce n’était pas le bon moment, je ne le sentais pas. Je n’ai pas dit non a priori, je considère The Dark Knight, un film de super-héros, comme un chef-d’oeuvre. Mais quand on travaille sur ce genre de films, il est important qu’il y ait des cinéastes. Et soyons clairs: entre Christopher Nolan et Zack Snyder, qui ont tous les deux leurs qualités, il y a quand même une petite différence. Et cela influence aussi ce genre de décision. »
Un choix qu’il n’a pas eu à regretter, lui qui, en attendant de retravailler avec Thomas Vinterberg, et de tourner le premier film de Darius Marder, le scénariste de The Place Beyond the Pines, s’apprête à retrouver son complice Michaël Roskam, le réalisateur de Rundskop et The Drop, pour le bien nommé Le Fidèle. « Nous ne voyons pas toujours les choses de la même façon, Michaël et moi, ce serait ennuyeux, mais nous avons une envie et un enthousiasme similaires. Un peu comme De Niro et Scorsese dans le temps, qui formaient un tandem parce qu’ils s’allumaient en termes artistiques. Michaël et moi, on se nourrit tous les deux, et j’adore cette dynamique. »
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