Mademoiselle, de Park Chan-wook, un film de costumes teinté d’érotisme et de violence
Adaptant Sarah Waters, Park Chan-wook signe avec Mademoiselle son premier film en costumes, un thriller érotique vénéneux situé dans les années 30, sous la colonisation japonaise de la Corée.
Retour aux sources pour Park Chan-wook, le réalisateur de Sympathy for Mister Vengeance et autre Old Boy qui, après l’expérience anglo-saxonne de Stoker, où il réunissait Nicole Kidman et Mia Wasikowska, retrouve la Corée pour Mademoiselle. Rien que de fort naturel, à en croire le cinéaste, qui souligne, dans le brouhaha d’une terrasse cannoise battue par les vents et le son des hélicoptères: « J’ai toujours considéré que l’idéal, pour ma carrière, serait de pratiquer l’alternance entre films coréens et anglo-saxons. En tant que Coréen, je souhaite raconter des histoires ancrées dans mon pays, avec des comédiens du cru. Sans compter que j’apprécie particulièrement la cuisine coréenne, et que j’ai ainsi la garantie qu’elle soit préparée correctement. Mais quand je tourne en anglais, je suis en mesure de m’atteler à des sujets que je ne pourrais transposer dans un contexte coréen, tout en travaillant avec des acteurs internationaux. En procédant de la sorte, je peux accéder au meilleur de deux mondes… »
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Adapter, c’est trahir un peu
Pour ce nouveau film, le réalisateur s’est inspiré de Fingersmith (Du bout des doigts), un thriller historique écrit par la romancière britannique Sarah Waters en 2002. Mais alors que l’écrivain situait l’histoire en 1862, dans l’Angleterre victorienne, Park Chan-wook a choisi de la placer dans la Corée des années 30, sous la colonisation japonaise. « A la lecture du roman, il m’a semblé que de nombreux éléments gagneraient à être vus à l’écran, plutôt qu’à rester confinés dans les pages d’un livre. Je me suis donc décidé à l’adapter, avant de quelque peu me décourager lorsque j’ai découvert que la BBC en avait tiré une mini-série (en 2005, avec Sally Hawkins et Elaine Cassidy dans les rôles principaux, NDLR). Mais s’il était du coup exclu d’envisager un film situé dans l’Angleterre victorienne, rien ne m’empêchait d’en faire une histoire coréenne. En déployant le récit à l’époque où la Corée était occupée par le Japon, on avait non seulement l’élément de la différence des classes, avec les serviteurs et les aristocrates, mais aussi l’arrière-plan d’une société sous régime colonial. Le scénario s’en trouvait donc étoffé.«
Contexte oblige, le regard porté par Park Chan-wook sur les délicates relations entre Corée et Japon s’avère résolument original. « Le personnage de l’oncle Kouzuki est un représentant de ces intellectuels qui pensaient sincèrement que le régime colonial japonais durerait éternellement, et qui adhéraient à cette culture. Les gens qui admiraient la culture japonaise à l’époque aimaient aussi la culture occidentale par l’entremise des Japonais. Quand les temps ont changé, l’admiration de ces intellectuels et de la classe supérieure de la société coréenne s’est déplacée des Japonais aux Américains. J’ai essayé de visualiser cette colonisation intérieure à travers la maison, notamment, qui marie architectures japonaise et occidentale. »
Comme souvent chez Park Chan-wook, c’est au bout du compte de vengeance qu’il est ici question, un thème qui colle à son cinéma, sans qu’il semble du reste en avoir toujours conscience. « Maintenant que vous me le faites remarquer, c’est vrai. Et peut-être cela vient-il de moi, parce que la vengeance ne figure pas dans le roman de Sarah Waters. Je me suis fixé une règle en le lisant puis en l’adaptant: laisser mes désirs de lecteur me guider dans mon travail. Je me suis senti comme ces lecteurs de feuilletons paraissant dans les journaux qui envoient des courriers souhaitant que l’histoire prenne telle ou telle direction. J’étais l’un d’eux, et transposer le roman m’a donné l’opportunité de voir mes rêves se concrétiser… » Adapter, c’est d’ailleurs aussi trahir un peu, et l’histoire concoctée par le réalisateur s’avère vénéneuse à souhait, un modèle de film de genre où tant l’érotisme que la violence sont relevés de ce qu’il faut d’ironie: « J’ai veillé à ce que les scènes de violence et celles où la sexualité affleure soient infusées d’humour, apprécie-t-il. Sans vouloir paraître abstrait, je préfère une certaine distance à l’immersion dans le sérieux d’une situation. Il s’agit, à mes yeux, d’une façon plus adulte d’envisager les choses, et cela vaut aussi bien pour le sexe que pour la violence… Même si l’humour, comme dans le cas présent, se voile aussi d’amertume.« Ce qui en fait aussi le prix…
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